160 - Les anonymes de l’Évangile

On les appelle personnages « secondaires », « mineurs », « marginalisés ». Ils pullulent dans les récits évangéliques. Dans la littérature, classique ou biblique, leur fonction est souvent de participer « à l’action menée par le personnage principal ou à la transformation de celui-ci » ou encore de « dramatiser l’état intérieur du héros » (Jean-Louis Ska, « “Nos pères nous ont raconté”. Analyse des récits de l’Ancien Testament », C.E. n° 155 (2011), p. 84-87). Dans les « vies de Jésus » que sont les évangiles, il y a plus.

Ils ont parfois un nom (Bartimée, Jaïre…) mais, le plus souvent, ils demeurent anonymes. Serait-ce que la plupart sont marginalisés – en particulier les femmes – dans la société du 1er siècle, juive, grecque ou romaine ? Or, l’on remarque que Bartimée n’a de nom que chez Marc, et que Matthieu définit Jaïre par le seul qualificatif de « notable ». Pourquoi cet effacement ? Serait-ce pour mettre en valeur le trait qui leur est commun à tous, ce trait capital qui est donné à revivre au lecteur : la rencontre de Jésus ?

Ils sont venus à lui ou bien Jésus est allé vers eux. La rencontre a été unique (au contraire des disciples, on ne les revoit plus) et quelque chose d’unique est advenu pour eux ou leurs proches : guérison du corps, pardon des péchés, réintégration familiale ou sociale. Dans cet événement, il y a la perception souvent fugitive, parfois incomplète, du mystère de Jésus, « Fils de Dieu », « Messie » d’Israël, « lumière des nations »… Les guérisons d’aveugles, par exemple, ne sont alors pas secondaires et les narrateurs le soulignent en attirant l’attention sur les réactions de Jean le Baptiste ou des apôtres, à commencer par Pierre, Jacques et Jean.

C’est le mérite du Dossier rédigé par Vianney Bouyer d’inviter à relire nombre d’épisodes évangéliques en montrant l’importance majeure de personnages mineurs pour comprendre la mission de Jésus et la condition de disciple. L’inachèvement des histoires est alors remis au lecteur, puisque l’Évangile s’écrit encore aujourd’hui.

La partie Actualités revient sur la conclusion du Congrès 2011 des biblistes de l’ACFEB (Association catholique française pour l’étude de la Bible). Le thème du Congrès était intrigant : « Entre théologiens et exégètes, la Bible… » La Bible comme un objet posé entre ces deux catégories de lecteurs ? La réflexion, plus œcuménique que jamais, ne s’est pas contentée de théorie mais s’est affrontée à des pratiques sur des thèmes (création, rétribution) et des domaines de recherche (la morale, la culture). La citation finale de J. Zumstein rejaillit d’ailleurs sur la problématique du Dossier qui apparaît bien comme œuvre d’exégèse et de théologie pastorale : « [L’exégèse] est la médiation qui permet à l’Église d’avoir accès à sa mémoire créative et libératrice. »


Cahier Évangile n° 160
72 pages, SBEV/Éd. du Cerf, juin 2012 (9 euros)


Sommaire du numéro

DOSSIER : Les anonymes de l’Évangile - Rencontres de Jésus dans les évangiles synoptiques, par Vianney Bouyer

p. 3 – Dans les évangiles, Jésus rencontre beaucoup de personnes qui sont restées anonymes. Qui sont-elles ? Comment cela se passe-t-il ? Qu’est-ce que cela révèle de Jésus ? L’étude d’une toute petite scène, celle de « l’obole » de la veuve (Mc 12,41-44), donnera des clés d’interprétation. Elles seront ensuite mises en œuvre dans une relecture générale des épisodes où Jésus rencontre des personnes souffrantes (malades ou possédés) et de ceux où il croise des parents en détresse. Chacun des évangiles dessine ainsi un portrait particulier de celui qui, pour tous, est le « Christ » de Dieu, dont l’action s’étend des juifs aux païens et traverse les différences d’âge, de sexe et de conditions sociales.

p. 4 – Les anonymes des évangiles >>>À lire

p. 6 – Une veuve dans le Temple
                Le récit de Marc 12,37 – 13,1
                Le récit de Luc 21,1-4
                Première, dernière, unique rencontre

p. 17 –  Rencontres avec des souffrants
                Convergences >>>À lire
                Marc : du possédé anonyme à Bartimée
                Matthieu : du lépreux aux deux aveugles
                Luc : de Capharnaüm à Jéricho
                Conclusion

p. 41 – Des parents à la rencontre de Jésus
                Parents et enfants >>>À lire
                Marc face aux enfants
                Matthieu et les parents qui souffrent
                Luc et les enfants uniques
                Conclusion

p. 53 – Au fil des rencontres

              p. 5 – Liste des encadré
                   p. 6 - Marc 12,37 – 13,1 (traduction littérale)
                   p. 7 - Marc, l’évangéliste des regards
                   p. 9 - Un personnage secondaire >>À lire
                   p. 11 - La femme pauvre et le prêtre
                   p. 12 - Une piété mal éclairée ?
                   p. 13 - Une rencontre fugitive
                   p. 14 - Luc 21,1-4 (traduction littérale)
                   p. 15 - Les regards de Jésus chez Luc >>>À lire
                   p. 21 - « Pars » ou « Suis-moi » ?
                   p. 24 - « Jésus ! »
                   p. 27- Le pluriel indéfini de Marc
                   p. 31 - La main de Jésus selon Matthieu >>>À lire
                   p. 32 - Suivre Jésus selon Matthieu
                   p. 34 - Le « fils de David » selon Matthieu
                   p 37 - Le peuple dans l’évangile de Luc
                   p. 57 - Pour combler les vides

p. 58 –  Pour continuer l’étude

 

 ACTUALITÉS

p. 61 – « Entre exégètes et théologiens : la Bible… »
À Toulouse, du 29 août du 1er septembre 2011, s’est tenu le 24e Congrès des biblistes francophones à l’invitation de l’ACFEB (Association catholique française pour l’étude de la Bible). Ce congrès, préparé par les Facultés de théologie de Toulouse (catholique) et de Montpellier (protestante), portait sur la place de la Bible dans les quatre disciplines que sont l’exégèse, la théologie biblique, la théologie systématique et la pastorale. Au terme des conférences et débats – qui seront publiés au plus tôt à la fin de l’année 2012 –, le professeur Élian Cuvillier a tiré quelques conclusions. Nous le remercions de nous les partager ici.
Par Élian Cuvillier, Faculté de théologie protestante, Montpellier >>>À lire

p. 66 – Des livres

– Régis Burnet, Paroles de la Bible. « Au commencement était le Verbe »
– Geert Van Oyen, Lire l’évangile de Marc comme un roman
– Yves Simoens, Croire pour aimer. Les trois lettres de Jean, t. I. Une interprétation,
    t. II. Une traduction

– Daniel Boyarin, La partition du judaïsme et du christianisme
Voir recensions 2012

 p. 70 – Brèves