Actes du colloque de l’ISEO (2006)" Écoutée religieusement et proclamée hardiment ", la Parole de Dieu est message de salut. On reconnaît là le début de la constitution dogmatique “Dei Verbum” sur la Révélation votée en novembre 1965 par les pères du Concile Vatican II.
Le renouveau ecclésial qui a suivi le Concile, effrayant les uns, dynamisant les autres, a eu pour conséquence une redécouverte de la Bible par les catholiques. Dans les années qui ont suivi, la recherche universitaire s’est déployée, libérée des soupçons qui l’entravaient encore, la théologie de la Parole de Dieu a été repensée, la pastorale biblique – de pair avec le renouveau liturgique – encouragée, croisant le mouvement œcuménique et le dialogue judéo-chrétien.
En septembre 2005 à Rome, pour prendre la mesure du chemin accompli, la Fédération Biblique Catholique et le Conseil pontifical pour la promotion de l’Unité des chrétiens ont organisé un congrès international sur le thème " L’Écriture Sainte dans la vie de l’Église ", titre repris explicitement au dernier chapitre, plus pastoral, de la constitution.
De son côté, début 2006, l’Institut Supérieur d’Études Œcuméniques (ISEO) a tenu un colloque sur la lecture de la Bible. Les travaux en avaient été préparés par les enseignants de l’ISEO sous la direction du P. Yves-Marie Blanchard et par les responsables de la pastorale biblique représentés par Christian Bonnet (Alliance biblique française), Sophie Schlumberger (Service biblique de la Fédération Protestante de France) et Gérard Billon (Service biblique catholique Évangile et Vie). Le public mêlait, pour la première fois, responsables œcuméniques et animateurs bibliques.
Les contributions de cet événement universitaire et pastoral vous sont ici données dans leur intégralité. La revue œcuménique “Istina”, dans son numéro LI (2006), a déjà publié une première version des articles historiques et théologiques, correspondant aux chapitres II et III. Nous les avons repris, allégés seulement d’un certain nombre de notes érudites.
Ce Dossier paraît au moment où les évêques catholiques du monde entier préparent le synode convoqué par le pape Benoît XVI en octobre 2008. Le titre du synode, là encore, est un hommage au chapitre pastoral de “Dei Verbum” : " La Parole de Dieu dans la vie et la mission de l’Église ". On notera les glissements : " vie de l’Église " a été déployée en " vie et mission de l’Église " et " Écriture Sainte " est devenue " Parole de Dieu ". L’Écriture ne se confond pas avec la Parole et la mission n’est pas le moindre des enjeux qu’il y a à toujours mieux lire la Bible dans les Églises.
La partie Actualités revient sur le livre que Benoît XVI a consacré à Jésus de Nazareth. Le pape a lu non seulement la Bible mais aussi nombre d’ouvrages d’exégèse. Modestement, il dit ne pas détenir un monopole de vérité sur le sujet. L’ouvrage montre, à tout le moins, un grand amour de l’Écriture. L’auteur, " prédicateur de la parole de Dieu au-dehors ", a écouté celle-ci " au-dedans de lui " (St Augustin cité par “Dei Verbum”, chap. 6, n° 25).
Cahier Évangile n° 141
144 pages, SBEV/Éd. du Cerf, septembre 2007 (12 €) Sommaire du numéroDOSSIER : Lire la Bible aujourd’hui. Quels enjeux pour les Églises ? Actes du colloque de l’ISEO (31 janvier – 2 février 2006) Actes publiés sous la direction de Gérard Billon
Contributions de Hans Christoph Askani, Yves-Marie Blanchard, John Breck, Gill Daudé, Michel Evdokimov, Catherine Flot-Dommergues, Serge Goffard, Rémi Guérinel, Michel Mallèvre, Élisabeth Parmentier, Patrick Prétot, Michel Stavrou, Sophie Schlumberger.
p. 04 – Qu’est-ce que lire ? Approche théorique et pratique La Bible n’est pas un livre comme les autres. Mais elle est néanmoins un livre ou, plus exactement, un ensemble de livres. Et nous pouvons penser que les procédures de lecture sont les mêmes pour ce livre – ces livres – que pour des milliers d’autres. Une petite réflexion sur l’acte de lecture s’impose donc. Deux enseignants, à la fois lecteurs et formateurs de lecteurs, nous partagent ici leur expérience. Il est question d’historicité, de construction du sens, de dialogue.
Dans le premier article, Catherine Flot-Dommergues part de sa pratique : que se passe-t-il quand elle " fait lire " un texte à d’autres ? Comment accompagner et contrôler le dialogue du lecteur avec le texte ? Y a-t-il des outils plus adaptés que d’autres ? Dans le second article, Serge Goffard se saisit d’un texte biblique célèbre : l’Histoire de Susanne (Dn 13). Il le parcourt avec la même attention bienveillante qu’il met pour d’autres textes. Il se laisse étonner par l’aventure éditoriale et les variations narratives. Il tente de retrouver les règles qui construisent le sens et nouent les problématiques. Son maître-mot de lecteur : le respect.
p. 04 : L’acte de lire et de faire lire (C.Flot-Dommergues)
p. 08 : L’Histoire de Susanne (S. Goffard)
p. 17 – Qu’est-ce que lire la Bible ? Approches historiques Dans l’acte de lecture, il y a historicité, sens, dialogue. Tout cela se retrouve lorsque nous lisons la Bible. Entre l’historicité du texte et celle du lecteur, le dialogue et la construction du sens jouent des écarts et des rapprochements. " Les Juifs lisent depuis toujours, les protestants depuis Calvin, les catholiques depuis Jules Ferry ". À la formule de Charles Péguy dans sa " Note conjointe sur M. Descartes " (1914), on pourrait ajouter " … les orthodoxes depuis les Pères de l’Église ". Encore le raccourci ne dit-il pas quel est exactement l’impact de ces différences natives ni, à plus forte raison, si chaque confession possède une manière ou une méthode qui lui serait propre.
Juifs et chrétiens se distinguent – sans s’opposer totalement – sur le corpus qui, en régime chrétien, est appelé Ancien Testament ; ils se séparent sur le Nouveau. Alors qu’ils sont tous chrétiens, les orthodoxes, les catholiques et les protestants peuvent-ils avoir produit des lectures contradictoires ? Avant des réponses nuancées, le premier article, dû à Yves-Marie Blanchard, synthétise les lignes de fond qui traversent les premiers siècles chrétiens, bien avant la division de 1054 entre Rome et Constantinople. Pères orientaux et occidentaux s’accordent sur l’apostolicité de l’héritage scripturaire qu’ils scrutent avec une rigueur qui n’a rien à envier aux grammairiens païens, sur l’importance des interprétations dogmatiques et sur le rôle structurant d’une réception liturgique apte à irriguer la vie courante.
Pour John Breck, dans le deuxième article, il ne fait aucun doute que la lecture des orthodoxes s’effectue dans le sillage de celle des Pères de l’Église. Et si, aujourd’hui, les outils scientifiques sont au service de la lettre, seul un renouveau de la " typologie " permet d’aller à la theôria, la vision de la réalité divine au-delà du sens littéral.
Gérard Billon, dans le troisième article consacré aux catholiques, parle lui aussi du sens littéral dont l’étude a donné naissance à la méthode dite historico-critique. Après des débats douloureux, est désormais mieux fondée la distinction entre la vérité du salut de Dieu dans l’histoire et la vérité historique des textes bibliques. Et, après le concile Vatican II, la lecture de la Bible est devenue plus centrale dans la vie chrétienne.
Dans le quatrième article, Élisabeth Parmentier ne pouvait manquer de revenir sur le sola scriptura (l’Écriture seule), élément fondateur de la Réforme. Outre Luther, elle s’attarde sur des figures contemporaines (Barth, Bultmann, Ebeling) qui ont exploré la tension entre une extériorité de la parole de Dieu dans l’Écriture qui juge nos actes et une intériorité de type existentiel. En conclusion, elle pointe quelques dérives subjectivistes.
Relevons, sans insister, deux questions qui traversent les quatre articles et qui seront reprises dans le chapitre suivant, plus directement théologique : celle de la lettre de l’Écriture et de sa profondeur (ou ses sens) et celle de l’autorité de la Bible dans et sur l’Église.
p. 18 - Aux sources de l’herméneutique chrétienne (Y.-M. Blanchard)
p. 26 - L’héritage de l’herméneutique orthodoxe (J. Breck)
p. 36 - Héritages et ruptures en milieu catholique (G. Billon)
p. 49 - Héritages et ruptures en milieu protestant (E. Parmentier)
p. 64 – Qu’est-ce que lire la Bible ? Approches théologiques Comme dans toute relecture historique, les points soulevés dans le chapitre précédent n’appartiennent pas seulement au passé. L’importance accordée aux temps apostoliques où se constitue le canon des Écritures, l’attention mise par les Pères à scruter la lettre pour y entendre l’Évangile, la question des rapports entre Bible et Église, la fonction du lieu liturgique pour la lecture, tout cela demeure actuel. L’orthodoxe cherche la " theôria ", la vision divine au-delà de la lettre. Le magistère catholique limite les dérives d’une interprétation subjectiviste. Le protestant se soumet à la Parole qui le précède et le juge. Chacune de ces convictions interroge les pratiques de tous.
Les organisateurs du colloque ont alors demandé à trois théologiens de développer trois questions, suivant leur sensibilité personnelle et dans la ligne de leur tradition confessionnelle : Écriture et Liturgie, Écriture et Parole, Écriture et Tradition.
Le propos du premier, Patrick Pretot, part de la tradition de l’Église catholique romaine. Il réfléchit sur la liturgie de la Parole dans la célébration eucharistique, le lectionnaire, le ministère du lecteur, la prédication. Jouant sur la vue et l’oreille, il rappelle que la liturgie " donne à voir que Dieu parle dans l’assemblée " où nous nous imprégnons du mystère du Christ.
Hans Christoph Askani revient longuement – et avec jubilation – sur l’un des fondements du protestantisme qu’est l’affirmation de la sola scriptura et, donc, sur le rapport entre Écriture et Parole. La nouveauté, en son temps, de la position de Luther, n’a rien perdu de son impact pour la foi. La radicalité de l’adjectif " seul " est bien plus qu’un défi à l’autorité de l’Église. Le Christ, parole de Dieu, est autre et unique.
Il revenait à Michel Stavrou, orthodoxe, d’examiner le rapport Écriture et Tradition. Il le fait en partant de l’Écriture elle-même et de son apostolicité. C’est la tradition apostolique qui définit l’identité de l’Église. Or celle-ci s’effectue sous l’action de l’Esprit Saint, lequel, présent aux origines du don de la Révélation, nous permet aujourd’hui, de la recevoir. L’interprétation de l’Écriture se fait donc en Église.
En conclusion, Élisabeth Parmentier résumes les points d’accords des interventions : 1) le christianisme n’est pas une religion du Livre, 2) la Parole de Dieu, le Christ, est le critère qui permet de discerner l’Esprit de la lettre et 3) la pluralité des lectures possibles est enrichissement des lecteurs. Sur ces points d’accord, les divergences sont l’indice du travail, sans cesse à recommencer, de l’interprétation infinie.
p. 65 : Les saintes Écritures et la liturgie (P. Prétot)
> > > extrait à lirep. 75 : Écriture et Parole (H. C. Askani)
p. 85 : Écriture et Tradition dans une perspective orthodoxe (M. Stavrou)
> > > extrait à lirep. 97 : Enjeux œcuméniques (E. Parmentier)
p. 101 – Lire la Bible en groupe, quels enjeux ? Au XXe s., les " groupes bibliques " se sont développés. Et, dans la suite du dynamisme du Concile Vatican II, un certain nombre d’entre eux ont été œcuméniques. Les expériences sont diverses, tout autant que les configurations et la longévité de ces groupes. Il y a là, néanmoins, le signe, en actes, de nouveaux rapports à l’Écriture : Rémi Guérinel, orthodoxe, évoque la pratique originale d’une appropriation de la Parole par l’oral, Gérard Billon, catholique, partage quelques expériences récentes et Sophie Schlumberger, protestante, tire quelques conseils d’une longue pratique d’animation.
p. 101 : Lire la Bible sans l’aide d’un support écrit (R. Guérinel)
p. 105 : Lire la Bible à plusieurs : expérience d’Église (G. Billon)
p. 109 : Lire la Bible en groupe et naître (S. Schlumberger)
p. 118 – Lire la Bible en groupe : quels enjeux pour nos Églises ? En conclusion du colloque, après les interventions historiques, théologiques et pastorales, les responsables chargés des relations œcuméniques ont souligné quelques enjeux de la lecture de la Bible. Il s’agit bien de la lecture " en groupe ", pas uniquement " solitaire ".
Nos groupes bibliques ont fleuri surtout à partir de la deuxième moitié du XXe s. Certains ont été d’emblée œcuméniques. Mais si le premier lieu de lecture – chronologique et peut-être aussi théologique – est la liturgie où les auditeurs deviennent corps par le don de la même Parole du Père, alors les " groupes bibliques " ne font que déployer cette dimension collective.
Quand il est seul, retiré dans sa chambre, c’est toujours en Église qu’un lecteur ouvre la Bible en vérité ; alors d’autant plus s’il est avec d’autres ! Après Michel Evdokimov (orthodoxe) et Michel Mallèvre (catholique), Gill Daudé (protestant) rappelle néanmoins que si les groupes, au quotidien, incarnent localement des débats de fond, ils côtoient aussi quelques dangers dont le subjectivisme n’est pas le moindre.
p. 118 : Les enjeux d’un point de vue orthodoxe (M. Evdokimov)
p. 122 : Les enjeux d’un point de vue catholique (M. Mallèvre)
p. 125 : Les enjeux d’un point de vue protestant (G. Daudé)
ACTUALITÉSp. 129 – Autour du " Jésus de Nazareth " de Benoît XVI :• Exégèse et théologie par Alain Marchadour
> > > extrait à lire• Qu’est-ce que l’histoire ? par Élian Cuvillier
> > > extrait à lire• Les Évangiles et l’histoire, une recherche en devenir par Alain Marchadour
p. 137 - Des livres - Jean-Luc Vesco,
Le Psautier de David traduit et commenté, I et II- Jean Lévêque,
Job ou le drame de la foi, et Georgette Chéreau,
Job et le mystère de Dieu. Un chemin d’espérance- Jean-Marie Auwers (dir.),
Regards croisés sur le Cantique des cantiques- Philippe Abadie (dir.),
Mémoires d’Écriture. Hommage à Pierre Gibert- Jacques Arènes, Pierre Gibert
Le psychanalyste et le bibliste. La solitude, Dieu et nous.
- Jacques Vermeylen
Jérusalem, centre du monde. Développements et contestations d’une tradition biblique- Daniel Marguerat
Les Actes des Apôtres (1 – 12) >>>Voir recensions 2006-2007p. 144 - Bible et pastorale