Dans une réflexion guidée par la question " qu’est-ce que lire la Bible ? ", la place du liturgiste est d’attirer l’attention sur l’impact du site cérémoniel sur le sens de la proclamation des Écritures et de leur interprétation dans l’homélie. Qu’est ce que lire la Bible en liturgie ? Le catholique romain peut répondre en s’appuyant sur la
Présentation Générale du Lectionnaire Romain (PGLR) qui, après avoir rappelé la diversité des modalités de cette proclamation, précise : " … L’économie du salut, que la parole de Dieu ne cesse de rappeler et de répandre, atteint sa pleine signification dans l’action liturgique : ainsi la célébration liturgique devient elle-même une proclamation continue, pleine et efficace de la parole de Dieu " (PGLR 4).
L’unique Parole de DieuEn d’autres termes, la relation entre Écritures et liturgie n’est pas celle d’un contenu – à savoir le corpus des Écritures – à l’égard d’un contenant – à savoir l’action liturgique. Les Écritures ne sont pas un élément de la liturgie, au sens où elles seraient un élément parmi d’autres. Elles sont bien plus : la célébration liturgique est tout entière proclamation, sous des modes diversifiés, de l’unique Parole de Dieu. Dès lors, la prière eucharistique et plus généralement tous les textes euchologiques (choix de prières) constituent à leur manière une modalité de la proclamation de la Parole de Dieu. Cette extension du concept n’est pas sans risques comme il apparaît dans un avertissement de la
Présentation Générale : " En cette matière, il faut à bon droit circonscrire quelque peu le sens des mots, afin que le discours soit bien clair et sans ambiguïté. On adoptera pourtant dans cette introduction le vocabulaire utilisé dans les documents du Concile ou d’après-Concile : pour désigner les livres inspirés par l’Esprit Saint, on parlera indifféremment de l’Écriture sainte ou de parole de Dieu, en veillant à éviter toute confusion des termes et des réalités " (PGLR 2).
On voit combien cette conception de la liturgie récuse tout fondamentalisme biblique et, en même temps, interroge sur le principe régulateur permettant d’authentifier la proclamation de la Parole de Dieu en liturgie. Il y a sur ce point un grand chantier œcuménique et sans doute des différences de sensibilité entre les différentes confessions chrétiennes. Quels critères se donner pour que la proclamation des Saintes Écritures soit respectueuse de la Révélation biblique, en consonance avec les exigences évangéliques, et enfin pertinente sur le plan œcuménique ?
Les adaptations pastoralesSur le plan de la régulation, il semble bien que les catholiques privilégient la " garantie ministérielle " : par là, nous voulons désigner le rôle que la pratique catholique accorde au ministre ordonné dans la liturgie de la Parole.
C’est au nom de ce principe que la
Présentation Générale du Lectionnaire Romain insiste sur le caractère " pastoral " du lectionnaire. Plus encore, celui-ci est conçu de telle manière qu’il laisse aux pasteurs de nombreuses possibilités d’adaptations notamment pour les célébrations fériales ou les fêtes de saints : " Les pasteurs qui veulent donner, à partir de la parole de Dieu, une réponse spéciale aux questions de certains groupes particuliers, tout en se souvenant qu’ils doivent avant tout annoncer l’Évangile dans son intégralité, peuvent cependant profiter comme il convient des choix proposés dans ce lectionnaire, surtout à l’occasion d’une messe rituelle, votive, en l’honneur des saints ou pour diverses circonstances " (PGLR 63).
Ce principe est devenu un bien commun de la pastorale sacramentelle notamment pour le mariage et les funérailles : c’est sous la responsabilité du prêtre que le choix des lectures est fait le plus souvent par les fiancés à partir d’une série de propositions de textes. On peut se demander si l’automatisme de cette procédure conduit toujours à une perception plénière de la lecture des Écritures comme Épiphanie d’un Dieu qui parle à son peuple. Ne risque-t-on pas au contraire de conduire à un rapport à la Bible qui se situe du côté du choix personnel au risque d’une empreinte excessive de la dimension subjective ?
Le rôle du lectionnaireLes rédacteurs de la
Présentation Générale du Lectionnaire Romain ont d’ailleurs bien senti le danger puisqu’au principe d’adaptation, il fixe une limite cohérente avec l’idée même d’un lectionnaire de nature " pastorale " : non seulement les choix sont fait à l’intérieur même du lectionnaire et suivant des règles évitant tout arbitraire, mais en plus il recommande au prêtre, qu’en " organisant la liturgie de la Parole ", il considère " davantage le bien spirituel de l’assemblée que ses idées personnelles " (PGLR 78). Ce principe vaut non seulement pour les prêtres mais pour tous les acteurs liturgiques. Plus encore, il éclaire toute la liturgie de la Parole, dans la mesure où il rappelle deux aspects essentiels :
– d’une part, on ne " choisit " pas la Parole que l’on veut entendre : on peut rappeler que dans l’Église ancienne, cette attitude était une quasi-définition de l’hérésie, un mot qui vient du verbe
haireô (saisir, choisir) ;
– d’autre part, parce que la liturgie concerne l’assemblée chrétienne, elle doit demeurer ouverte au " tout venant " et c’est l’une des raisons invoquées par le texte pour justifier la pratique d’un lectionnaire : " On peut aussi comprendre d’un autre point de vue l’utilité pastorale d’un lectionnaire unique pour le rite romain : de cette façon, tous les fidèles, particulièrement ceux qui, pour diverses raisons, ne participent pas toujours à la même assemblée, entendent partout les mêmes lectures, aux mêmes jours, et les méditent en les confrontant aux circonstances concrètes " (PGLR 62).
C’est au nom du même principe de " garantie ministérielle " également que l’on a vu réaffirmer récemment la réservation exclusive aux ministres ordonnés de la prédication dans la liturgie. Dans l’ecclésiologie catholique, ce critère de ministérialité est sans doute capital mais est-il suffisant ? Ne faudrait-il pas préciser ce qui permet de dire que la Parole est authentiquement annoncée ?
© Fr. Patrick Prétot, SBEV / Éd. du Cerf,
Cahier Évangile n° 141 (septembre 2007), "Lire la Bible aujourd’hui. Quels enjeux pour les Églises ?", p. 69-71.