Le chapitre IV de Dei Verbum, L'Ancien Testament Béatrice OIRY

Le chapitre IV de Dei Verbum. L’Ancien Testament
Béatrice Oiry (Institut Catholique de Paris)

Dei Verbum n’est pas d’abord un texte sur la Bible. Comme son titre complet l’indique « Constitution apostolique sur la Révélation divine », il porte plus largement sur la manière dont Dieu s’est fait connaître aux hommes et dont il continue de se communiquer à eux. Or, dans ce mouvement de révélation, la Bible tient une place particulière. Aussi, après un développement sur le caractère inspiré du texte biblique et les implications de cette inspiration en matière d’interprétation (chap. 3), la constitution apostolique s’attache successivement aux deux parties de la Bible chrétienne. Le chapitre 4 est ainsi consacré à l’Ancien Testament, le suivant le sera au Nouveau.

La notion d’économie du salut est centrale dans le chap. 4. Elle la clef de compréhension proposée pour rendre compte de l’histoire de Dieu avec Israël, celle-ci trouvant son origine dans le projet d’un « salut de tout le genre humain » (§14). Notons que cette notion engage une manière d’appréhender l’histoire dans son ordre chronologique et comme une révélation progressive tendue vers la « plénitude des temps », c’est-à-dire vers l’Incarnation du Christ (chap 5, citant Ga 4,4). L’Ancien Testament se présente alors comme la relation et l’explication que « les auteurs sacrés » opèrent de cette révélation progressive, envisagée dans l’ordre de son origine vers sa fin.

Portée par cette perspective, le chapitre se déploie en trois moments. Le premier (§14) est précisément consacré à la progressivité de la révélation, depuis l’alliance avec Abraham. La constitution insiste sur la grande intelligence spirituelle qu’Israël a progressivement acquis de son expérience avec Dieu. C’est la réalité de cette expérience qui fonde la valeur des livres de l’Ancien Testament : « l’économie du salut, annoncée d’avance, racontée et expliquée par les auteurs sacrés, apparaît donc dans les livres de l’ancien Testament comme la vraie Parole de dieu ; c’est pourquoi ces livres divinement inspirés conservent une valeur impérissable ». Cette dernière expression est décisive, elle affirme l’importance que les livres de l’Ancien Testament ont par eux-mêmes parce qu’ils recueillent l’expression de l’expérience authentique qu’Israël a fait de Dieu et qui ne saurait être invalidée.

Le second paragraphe (§15) s’attache à la signification de cette expérience pour les chrétiens. A nouveau, c’est l’importance des livres de l’Ancien Testament comme révélation sur Dieu qui est soulignée. Les Chrétiens sont invités à « accepter [ces livres] avec vénération ». Le lien particulier qui les y attache tint au fait que « l’économie de l’Ancien Testament avait pour raison d’être majeure de préparer l’avènement du Christ Sauveur de tous, et de son Royaumes messianique ». Considérer l’Ancien Testament comme une « préparation » insiste à nouveau sur le mouvement chronologique qui va de l’origine vers la plénitude des temps, et donc de l’Ancien Testament vers le Nouveau. Cette préparation est envisagée comme une éducation, il est question de « pédagogie divine », d’« enseignement sur Dieu », de « sagesse salutaire ».

Enfin, le troisième moment (§16) porte spécifiquement sur l’articulation des deux Testaments. Ils forment une unité d’abord parce qu’ils procèdent d’une même inspiration. Mais aussi parce qu’ils entretiennent un rapport d’intériorité mutuelle : le Nouveau Testament est caché dans l’Ancien et l’Ancien à la fois repris dans le Nouveau et dévoilé par lui. C’est à nouveau l’économie du salut qui permet de penser le rapport de cette manière, la lecture christologique de l’Ancien Testament apparaissant comme le dévoilement de son sens ultime.

Les éléments fondamentaux posés par Dei Verbum ont été repris et enrichis dans un document de la commission biblique pontificale paru en 2001 et intitulé Le peuple juif et ses saintes Écritures dans la Bible chrétienne. Car parler du rapport de l’Ancien et du Nouveau Testament c’est parler aussi des relations entre le judaïsme et le christianisme. Celui-ci doit pouvoir penser la légitimité d’une lecture de l’Ancien Testament qui ne trouve pas son accomplissement dans le Nouveau. Aussi, à côté de la notion d’économie du salut et de son mouvement chronologique qui va de l’origine vers la fin, le document de la Commission biblique met en valeur le mouvement inverse, celui qui va du Nouveau Testament à l’Ancien et prend la forme de la relecture (§19). Relire, c’est découvrir à partir d’un présent des sens nouveaux à des textes dont le sens premier demeure cependant. Le document de la commission biblique insiste sur le mouvement de relecture. Il fait valoir que c’est comme cela, par une succession de relecture, de mouvement du présent vers le passé donc, que la Bible, Ancien et Nouveau Testament, s’est progressivement constituée. On le sait, beaucoup de textes de l’Ancien Testament sont des relectures, des commentaires des interprétations de textes ou de traditions plus anciens. Et lorsque le canon de l’Ancien Testament se stabilise, les juifs continuent à relire et à commenter leurs écritures. Les auteurs du Nouveau Testament appartiennent à cette culture juive et reçoivent d’elle leurs pratiques de relecture. En ce sens, leur interprétation des Écritures en est une parmi d’autres au sein du judaïsme du début de notre ère. Ce qui la distingue, c’est la situation nouvelle à partir de laquelle les auteurs de Nouveau Testament se tourne vers les écritures de l’Ancien. « Relisant les Écritures à partir de la Pâque du Christ, les auteurs du Nouveau Testament reprennent les pratiques d’interprétations des textes qui sont celles des juifs de leur temps. Ce qu'il y a de spécifique dans la relecture chrétienne, c'est qu'elle se fait — nous venons de le rappeler — à la lumière du Christ. L'interprétation nouvelle n'abolit pas le sens originaire. »