Le chapitre III de Dei Verbum, concile Vatican II Paolo MONZANI

Le chapitre III de Dei Verbum, concile Vatican II. 
Paolo MONZANI
, Facultés Loyola, Paris.

Après une réflexion sur la nature de la révélation (chapitre 1) et sur sa transmission (chapitre 2), la constitution Dei Verbum va se concentrer plus spécifiquement sur l’Écriture. Les trois paragraphes du chapitre 3 examinent en particulier la question théologique de l’inspiration et de l’interprétation de la Bible.

Les formulations de ce chapitre, précises et pesées, contiennent souvent de véritables progrès par rapport au magistère précédent. En effet, on aborde ici des questions brûlantes, car la naissance et la diffusion de l’exégèse critique à la fin du XIXe siècle avaient suscité des réactions contrastées au sein de l’Église catholique, jusqu’au moment dramatique de la crise moderniste (au tournant du siècle). Les nouvelles études bibliques ouvraient des pistes fécondes, mais qui n’étaient pas immédiatement compatibles avec certaines visions traditionnelles de l’Écriture. En particulier, les recherches montraient des discordances entre la narration de la Bible et les découvertes historiques et archéologiques : fallait-il alors admettre la présence d’« erreurs » dans le texte sacré ? La réaction du magistère catholique vis-à-vis des nouvelles approches avait été souvent dure, créant un climat de suspicion et de tension que Dei Verbum va finalement dépasser en complétant un parcours inauguré par l’encyclique Divino afflante Spiritu en 1943. Les indices de cette nouvelle attitude, plus sensible à la dimension humaine des textes et plus ouverte aux apports de la critique historique, mais toujours attentive à mettre en relief la présence de la Parole divine dans les textes, se trouvent un peu partout.

Les auteurs humains, qui ont concrètement rédigé les livres bibliques, ne sont plus considérés seulement comme des « instruments » comme auparavant, mais ils sont qualifiés de vrais auteurs, « veriauctores » ; le mot « inerrance » qui définissait les Écritures d’une manière négative, en niant toute possibilité d’erreur dans la Bible, est remplacé par la notion positive de « vérité » (même si toujours avec la précision « sans erreur ») ; on reconnaît l’importance de prendre en compte les « genres littéraires » pour interpréter correctement les textes, « car c’est de façon bien différente que la vérité se propose et s’exprime en des textes diversement historiques, ou prophétiques, ou poétiques, ou même en d’autres genres d’expression » (DV 12) ; finalement, on insiste sur l’importance de bien situer les écrivains dans leur contexte historique et social.

En d’autres termes, Dei Verbum, tout en maintenant l’idée traditionnelle de l’inspiration des Écritures, « qui ont Dieu pour Auteur » (DV 11), fait place à l’originalité des apports humains à la créa tion des textes et, surtout, affirme que ces textes ne peuvent pas être lus en oubliant leurs contextes d’origine, comme s’ils étaient des paroles atemporelles, tombées du ciel.

La notion de « vérité », pour sa part, est caractérisée comme « vérité pour notre salut ». Une formulation précédente parlait de « vérité salvifique », mais cet adjectif avait été écarté par souci de ne pas réduire la vérité de la Bible aux affirmations religieuses concernant directement le salut. En revanche, le Concile affirme encore que la Bible, dans son entièreté, nous consigne la vérité selon le dessin de Dieu, mais en spécifiant que cette vérité a un but unique, à savoir notre salut. La finalité de la Bible n’est donc pas de nous enseigner l’astronomie, l’histoire et même pas l’éthique : si les Écritures parlent de faits historiques, de phénomènes physiques, de relations humaines, c’est pour nous apprendre un chemin de vie conduisant à la rencontre avec Dieu.

On ne doit pourtant pas oublier, à cause de cette attention à l’origine humaine des textes, la dimension proprement spirituelle des Écritures, car, selon la Constitution, l’esprit de Dieu est à l’œuvre non seulement au moment de la composition des textes, mais aussi de leur lecture : « la Sainte Écriture doit être lue et interprétée à la lumière du même Esprit que celui qui la fit rédiger » (DV 12). Cette remarque nous rappelle encore que l’action de Dieu ne se limite pas au passé, mais qu’elle est encore aujourd’hui vivante ; sans cette action actuelle de l’Esprit, notre lecture des Écritures Les textes du magistère serait toujours limitée et ne nous donnerait pas accès à la parole de Dieu.

Le dernier paragraphe du chapitre (DV 13) offre finalement une analogie pour penser la présence de Dieu dans les Écritures, en proposant une comparaison avec l’incarnation du Verbe et en soulignant la « condescendance » de la parole de Dieu (on pourrait traduire « sa flexibilité miséricordieuse »), qui accepte de revêtir « l’infirmité de notre chair » afin de pouvoir parler notre langue et de nous rejoindre là où nous sommes.

En conclusion, le chapitre 3 de Dei Verbum est un tournant important pour la compréhension théologique des Écritures, le moment où l’Église catholique non seulement accepte certains apports de la modernité soulignant l’humanité des textes bibliques, mais où elle reconnaît la valeur profonde de cette humanité, qui suit en effet la logique de Dieu qui s’est manifestée dans l’incarnation. Certes, soixante ans après, on découvre aussi les limites de ce document, par exemple à cause d’une compréhension plus profonde que nous avons aujourd’hui des processus de composition des Écritures et de la complexité de la notion d’« auteur ».

De même, la notion de vérité nécessiterait un approfondissement de réflexion dans un contexte culturel différent. Cependant, DV 11-13 reste encore aujourd’hui le point de départ pour toute réflexion catholique sur la nature de l’inspiration des Écritures, offrant aussi une tentative féconde de donner des critères interprétatifs respectant la nature humaine et inspirée de ces documents.