Le chapitre II de Dei Verbum, concile Vatican II Frédérique POULET

Les textes du magistère Dei Verbum chapitre deuxième 
Frédérique POULET
, professeure ordinaire à la Faculté Notre-Dame (Bernardins, Paris).

Le chapitre II de la constitution sur la Révélation divine, Dei Verbum, fut, selon les experts, l’un des plus laborieux à rédiger 1 car il abordait ce que l’on appelle « la question des deux sources » de la Révélation à savoir l’Écriture et la Tradition. La Révélation repose-t-elle sur l’Écriture puis sur la Tradition ou doit-on considérer l’Écriture et la Tradition dans un même mouvement de transmission, comme une seule source ? Il fallait, d’une part, relire adéquatement les enseignements du concile de Trente qui, en réaction au Sola Scriptura de la Réforme, avait employé le terme au singulier « fontem » et expliqué que « la vérité salutaire et la règle [morale] sont contenues dans les livres écrits et dans les traditions non écrites 2 » Depuis la problématique s’était complexifiée, il fallait interroger la dimension de contenants et sa capacité à rendre compte de la dynamique de Tradition. En effet, dans une communication qu’il fit à Rome, le 10 octobre 1962, à la veille de l’ouverture du Concile, J. Ratzinger avait rappelé que la Révélation est toujours en excès par rapport à son témoignage déposé dans l’écrit, « qu’elle est ce qui est vivant qui englobe et déploie l’Écriture. » Il avait alors expliqué que si l’on considère l’Écriture sainte comme « la » Révélation, on succombe à un « positivisme » et à un « scripturalisme ». Pour éviter ces écueils, il avait suggéré le titre « Sur la Révélation » ou « Sur la parole de Dieu » au lieu du titre De fontibus revelationis. En effet, la Révélation n’a elle-même pas de source objectivable car elle désigne un événement qui a eu lieu et se poursuit entre Dieu et les hommes dans leur cheminement terrestre 3 . En rigueur de terme, la Révélation est en elle-même la source de l’Écriture Sainte et de la Tradition divine « car toutes deux, jaillissant de la même source divine, ne forment pour ainsi dire qu’un tout et tendent à une même fin.» (DV 9).

En passant d’une idée de source ou contenants de la Révélation à une Révélation événement telle que décrite au numéro 2 de Dei Verbum et à laquelle Tradition et Écriture rendent témoignage la constitution renouvelle l’approche du rapport Tradition et Écriture. Il est intéressant de relever que le texte du concile cite la Sainte Tradition avant la Sainte Écriture (DV 7 et 9). Cela invalide de facto l’idée d’une seule et unique source qui serait l‘Écriture. En fait l’Écriture elle-même est le fruit d’un acte de Tradition du message de l’Évangile du salut. Elle est mise par écrit de la Révélation sous la motion de l’Esprit Saint et demande à être perpétuée et interprétée par les successeurs des apôtres. « La Divine révélation est transmise, à la fois par la Tradition et l’Écriture sous l’autorité du Magistère » (DV 10).

Le numéro 7 développe également l’idée d’une Tradition dynamique. La constitution reprend la doctrine de Trente (Dz 1501) en y ajoutant deux précisions. On peut parler ici, selon l’expression de G. Lafont 4 ,d’une relecture au sens exégétique du terme. D’une part, dans le Christ toute la Révélation est achevée et d’autre part les apôtres sont chargés de transmettre l’Évangile et leur prédication passe aussi par la dimension éthique et la cohérence de vie : « Ce qui fut fidèlement exécuté, soit par les Apôtres, qui, par la prédication orale, par leurs exemples et des institutions, transmirent, ce qu’ils avaient appris de la bouche du Christ en vivant avec lui et en le voyant agir, ou ce qu’ils tenaient des suggestions du Saint-Esprit, soit par ces Apôtres et par des hommes de leur entourage, qui, sous l’inspiration du même Esprit Saint, consignèrent par écrit le message du salut. » (DV 7). Dès lors la Sainte Tradition a pour mission de transmettre l’Évangile, le cœur de la Révélation, tant par sa mise en œuvre sous la motion de l’Esprit Saint que par la consignation par écrit du message du salut. Il est donc clair dans les numéros 7 à 9 de Dei Verbum que la Révélation ne peut avoir qu’une seule source ontologique : elle vient de Dieu lui-même (DV2) et elle a un seul contenu : le mystère du salut manifesté en plénitude en Jésus-Christ. Dei Verbum s’attache ainsi plus au mouvement de Tradition active qu’aux contenants de cette Tradition. Elle va au-delà de la problématique du concile de Trente qui définissait les « contenants authentiques de la Tradition » dira G. Lafont. Dès lors l’acte de transmettre va au-delà de la seule prédication, elle inclut toute la vie chrétienne car il s’agit de rendre témoignage à l’autocommunication de Dieu en Jésus-Christ.

1 Le chapitre II de la cons1tu1on Dei Verbum a fait l’objet de nombreuses discussions et de quatre sessions de travaux comme le rapporte Charles MOELLER, « Le texte du chapitre II dans la seconde période du concile », in La Révéla0on Divine, tome 1, Paris, Cerf, coll. Unam Sanctam, 70 a, p. 305-344.

2 Concile de Trente, 4 ème session, 8 avril 1546, Décret sur la récep1on des livres saints des tradi1ons Dz 1501.

3 DV 7 « CeWe sainte Tradi1on et la Sainte Écriture de l’un et l’autre Testament sont donc comme un miroir où l’Église en son cheminement terrestre contemple Dieu, dont elle reçoit tout jusqu’à ce qu’elle soit amenée à le voir face à face tel qu’il est (cf. 1 Jn 3, 2). »

4 Voir Gh. LAFONT, « La cons1tu1on ‘Dei Verbum’ et ses précédents conciliaires » in NRT n° 110, 1988, p. 58-73.