Le chapitre I de Dei Verbum, concile Vatican II. Jean-Xavie Lalo

Le chapitre I de Dei Verbum, concile Vatican II.
Jean-Xavie Lalo

Un texte n’est jamais écrit au hasard... ni pour rien. A fortiori lorsqu’il s’agit d’une constitution dont l’élaboration couvre toute la période allant de la préparation à la fin de la tenue du concile Vatican II, soit près de cinq ans et demi. Dei Verbum s’est donc saisi d’un thème majeur de la foi chrétienne et, dès son premier chapitre, propose une approche de la Révélation constituant un renouvellement tant de l’enseignement dogmatique que de sa présentation à l’homme contemporain.

Un enseignement renouvelé

Nous sommes dans les années 1950... Bon nombre de séminaristes et de prêtres français en charge d’un ministère étudient ou gardent à portée de main le célèbre manuel d’apologétique de Brillant (1881-1953) et Nédoncelle (1905-1976) publié en 1939 (1) , véritable encyclopédie fournissant les raisons de croire et répondant aux difficultés opposées à la foi.

À l’instar de tous les autres manuels de l’époque, la nature de la révélation divine y est développée sous forme d’exposés traitant de sa possibilité et de sa nécessité pour les hommes ainsi que des critères par lesquels on peut la reconnaître pour ce qu’elle est. La révélation divine est ainsi classiquement présentée comme la résultante d’un enseignement de vérités formulées à grand renfort de démonstrations et de propositions.

Mais cette théologie des manuels non seulement peine à convaincre mais encore se coupe des interrogations contemporaines et se referme sur elle-même, évoluant comme dans un vase clos.

Dans sa forme extrême, elle débouche sur une sorte de paternalisme tant au sujet de la conception que de l’obéissance à la Révélation en considérant que l’Église hiérarchique est elle-même parvenue à des énoncés formels tellement parfaits qu’il suffit de les plaquer dans l’esprit des fidèles. Elle ne traite pas à proprement parler de la nature et de l’histoire de la Révélation dans une perspective dynamique qui va tout au contraire se trouver au cœur de Dei Verbum dès son premier chapitre dont l’économie d’ensemble consiste à examiner ce que la Révélation est en elle-même (n. 2) avant de dégager comment elle se déploie dans l’histoire (n. 3 et 4) pour être accueillie dans le cœur des croyants (n. 5). N’étant aucunement destinée à une élite d’initiés ou de sachants mais bien à l’humanité tout entière, la Révélation vient ainsi rencontrer et éclairer l’intelligence humaine à la recherche de Dieu (n. 6) pour savoir qui il est. Produite par la Parole, la Révélation n’est pas donnée

Le registre existentiel

Ici, deux thèmes majeurs s’imposent. Le premier relève du registre existentiel omniprésent au n. 2 : Dieu veut s’entretenir avec l’humanité pour per- mettre à l’homme de participer à sa vie divine. Il s’agit donc d’un entretien, d’un dialogue, lui-même constitutif d’une alliance où, par définition, entrent en jeu tant la liberté de Dieu que celle de l’homme.

L’alliance résulte donc d’abord de ce que Dieu décide d’instaurer. D’où la formule de l’hébreu en Genèse : heqim berit qui signifie « établir une alliance» de façon unilatérale (2). Mais aussi, dans les textes deutéronomistes, d’une autre formule : karat berit se traduisant par « conclure une alliance » et exprimant le fait continué que Dieu et le peuple décident en signatures distinctes (3) . Ainsi se donne la texture temporelle de la révélation biblique ; ainsi intervient au cœur du premier chapitre de Dei Ver- bum cette problématique : la révélation comme histoire. La révélation se trouve alors placée dans la perspective du salut activité de Dieu en faveur de l’homme aliéné et désireux de recouvrer l’intégrité de son être auquel ce dernier est appelé à répondre par l’acte de foi sans qu’il soit possible de dissocier la réalité propre de la révélation de celle du salut apporté par le Christ. Il y a simultanément une connaissance de qui est Dieu qui se manifeste et du salut qu’il apporte.

La dimension sacramentelle

Un second thème, tout particulièrement dans le n. 4, tient à la dimension sacramentelle de la révélation composée d’événements, de gestes et de paroles formant eux-mêmes le texte biblique et indissociables les uns des autres. Ils nous per- mettent d’accéder à la réalité qu’ils renferment, c’està-dire au mystère de Dieu qui sauve et restaure, qu’il s’agisse d’Israël comme peuple ou de l’homme pécheur. À titre d’exemple, si l’on prend l’Évangile ou les épitres pauliniennes, il y a non seulement l’enseignement prodigué mais également tous les gestes posés et inséparables de cet enseignement, l’ensemble étant pleinement accompli dans la personne du Christ, Verbe de Dieu prenant la chair de notre chair et témoignant de l’amour du Père non seulement par l’annonce du royaume de Dieu avec les miracles et guérisons qu’il accomplit mais surtout par sa passion, sa mort et sa résurrection. Dans une telle optique, la révélation est vraiment une personne, le Dei Verbum, c’est-à-dire le Christ qui s’est fait homme et dialogue avec l’humanité.

Le centre du message de Jésus réside donc dans l’annonce d’un royaume où la volonté de Dieu est réellement mise en pratique et où il dispense ses biens à ceux qui en font partie. Réalité de communion, il ne constitue pas un espace délimité, ni quelque chose de statique mais relève plutôt d’un processus auquel Jésus souhaite associer l’homme en l’y faisant collaborer. Reprenant donc une expression apparaissant dans l’Ancien Testament pour évoquer le règne universel de Dieu ou son règne particulier sur Israël, Jésus lui confère un sens nouveau en enseignant que, par sa propre présence parmi les hommes, son ministère ainsi que sa prédication, ce royaume est déjà à l’œuvre de façon cachée, souveraineté d’amour d’un Dieu qui offre à l’homme d’entrer dans une relation du même type avec lui tout en l’invitant à développer cette relation avec les autres. Mais Jésus ne se contente pas d’annoncer le message, il le vit en acceptant sa mort dans la perspective de la venue de ce royaume eschatologique dont il ne devient en fait roi qu’à partir de la Passion, évitant par là-même toute méprise possible sur la nature dudit royaume qui n’est pas terrestre. En définitive, l’amour de Dieu s’est incarné en Jésus Christ et le royaume de Dieu s’est personnifié en lui. Le royaume, c’est le roi. Le Christ est la figure personnelle de ce royaume de Dieu et de cet amour.

L’approche de la Révélation telle qu’elle ressort du chap. I de Dei Verbum

À partir du premier chapitre de Dei Verbum, il devient alors possible de définir la Révélation comme automanifestation et autodonation de Dieu dans et par une économie historique culmi- nant en Jésus Christ, lui-même donateur, objet, plénitude et signe de la Révélation. Nous nous situons là dans l’ordre du don de Dieu à chaque croyant de chaque époque avec cette particularité que l’Église reçoit le don du Christ comme un don sans obsolescence, un événement de salut toujours actuel et ce, quelle que soit la génération considérée et le moment où elle s’inscrit dans l’histoire.

(1) M. Brillant et M. Nédoncelle, Apologétique. Nos raisons de croire, réponses aux objections, Paris, Bloud et Gay, 1939. à voir mais à écouter. Venant donc de Dieu, la Parole se trouve transmise au peuple par ceux-là mêmes qu’il a désignés pour le guider vers la Terre promise, c’est-à-dire vers le bien (voir n. 3), Dieu restant toujours à la source de ce pouvoir.

(2) Voir Gn 6,18; 9,9; 9, 11-17; 17,7; et 19- 21; Ex 6,4. 3. Voir Dt 4, 23; 5,2; 5,3; etc.