190 - Esther
SCE190

Liminaire

En apparence, Esther est la plus insigne des héroïnes juives. Triomphant des machinations du cruel Haman avec astuce et détermination, elle parvient non seulement à devenir l'épouse favorite du Grand Roi, mais à sauver son peuple. Celui-ci, reconnaissant, commémore son action d'éclat par la fête des « Sorts » (Pourim).

En réalité, le récit est bien plus ambigu. Au fond, quel est son message ? Est-ce de glorifier la reine Esther qui réussit à protéger les Juifs de Perse, ou bien de légitimer le choix de la vie en Diaspora, souvent plus confortable que l'existence misérable de Judée & Et quel regard porter sur cette femme ?

Certes, elle illustre le fait que les individus de sexe féminin ne sont pas moins dépourvus de sens politique et de courage que ceux du sexe masculin. Mais c'est aussi une ambitieuse arriviste qui joue les épouses soumises tout en abusant de ses charmes. La fête de Pourim elle-même ne dit-elle pas ces ambiguïtés ? Quelle étrange manière de célébrer une libération, que d'organiser un vaste carnaval où l'ivresse n'est pas seulement permise, mais recommandée !

Toutes les facettes de cette personnalité complexe furent successivement mises en avant au cours de l'histoire, depuis les écrits rabbiniques qui lurent dans le récit une glorification de la Diaspora, jusqu'aux peintres facétieux qui tirèrent de l'épisode un prétexte pour représenter des Esther plutôt promptes à révéler leurs atours. Si les Pères de l'Église ne s'intéressèrent que fort peu à l'épouse d'Assuérus, ses actions fascinèrent les dramaturges et les poètes chrétiens depuis le premier commentaire complet du livre par Raban Maur au IX° siècle. Les auteurs juifs y virent une parabole de l'asservissement de leur communauté et de leur espérance de libération.

Et, au milieu de toutes ces réceptions, l'altière et hiératique Esther de Racine qui tombe à genoux en psalmodiant l'une des plus belles phrases de toute la littérature française : « Lasse de vains honneurs, et me cherchant moi-même, / Aux pieds de l'Éternel je viens m'humilier, / Et goûter le plaisir de me faire oublier. »

Régis BURNET