Outils numériques Erwan CHAUTY

Outils numériques pour l’exégèse

On imagine mal aujourd’hui un ingénieur sans calculatrice électronique, ou un financier sans tableur Excel… Sur quels outils informatiques un bibliste peut-il s’appuyer pour gagner du temps lorsqu’il veut lire le texte biblique, l’analyser, ou le traduire ?

Tout dépend bien sûr des usages : l’étudiant en théologie qui s’initie au grec du Nouveau Testament n’a pas les mêmes besoins que le chercheur écrivant sur la grammaire de l’hébreu ! Il existe de très nombreux outils, mais avant de proposer d’en proposer certains, il convient de noter quelques difficultés. Premièrement, pourquoi trouve-t-on autant de textes bibliques et outils d’exégétiques gratuitement sur internet ? Dans certains cas, c’est parce qu’ils ont été créés par les chercheurs d’une université, dont la politique de publication comporte la gratuité (c’est le cas de la numérisation du codex hébreu de Leningrad et de son analyse morphologique par le Westminster Theological Seminary) ; dans d’autres cas, c’est parce qu’il s’agit d’une numérisation de livres anciens désormais dépassés et tombés dans le domaine public : traductions françaises de Segond (1880) et Crampon (1904), concordance de Strong (1890), première édition de Nestle (1898), dictionnaire de Brown-Driver-Briggs (1906). Deuxième difficulté, les logiciels pour accéder à ces ressources se périment assez vite et peuvent ne plus fonctionner sur des ordinateurs modernes, ou bien disposer d’interfaces très vétustes ; ainsi le légendaire Bibleworks, créé en 1992, n’est plus commercialisé depuis 2018 ; on trouve beaucoup de logiciels bibliques dont le développement a été interrompu il y a 5 ou 10 ans. Troisièmement, beaucoup de commentaires plus ou moins rigoureux sont mis en ligne à destination des prédicateurs débutants (surtout américains), dont les textes encombrent les écrans d’informations à la fiabilité incertaine ; l’expression « bible study » peut signifier tout autre chose qu’une exégèse académiquement valable. Cela étant posé, parcourons quelques usages possibles des outils électroniques pour la lecture et l’étude de la Bible, en allant du plus simple au plus complexe.

Lire et copier-coller la Bible en français

A côté des sites proposant gratuitement des traductions anciennes, quelques sites permettent d’accéder aux traductions contemporaines. La traduction liturgique – celle qui est employée dans les célébrations de l’Eglise catholique – est disponible sur www.aelf.org. Un système de recherche est disponible (seulement sur écran d’ordinateur, pas sur smartphone). La TOB est disponible sur le site de l’Alliance biblique française, www.lire.la-bible.net, avec d’autres traductions (Français courant, etc.) ; là aussi, un système de recherche permet de retrouver un passage dont on ne connaît pas les références. La Bible de Jérusalem est disponible sur https://www.biblindex.org/fr/bible-parser, avec d’autres bibles et de très riches ressources patristiques. Signalons enfin le remarquable projet de l’Ecole biblique de Jérusalem, la « Bible en ses traditions », sur www.bibletraditions.org ; on peut y consulter le scroll (rouleau), où se superposent les traductions des différentes sources du texte biblique ainsi que l’histoire de la réception, avec une superbe iconographie.

Lire et copier-coller la Bible en langue originale

Les premiers ordinateurs ne pouvaient afficher que l’alphabet latin, et souvent sans accents ; sont ensuite apparus des systèmes astucieux, mais incompatibles entre eux, pour afficher grec et hébreu. Les ordinateurs modernes emploient désormais le système « Unicode » qui permet de saisir du texte et de l’afficher dans tous les alphabets connus, d’une manière compatible avec tous les autres ordinateurs. Pour saisir les autres alphabets, il faut commencer par trouver le réglage de la « disposition de clavier » : « grec polytonique », fourni sur Windows comme sur Mac, pour le grec biblique ; pour l’hébreu biblique, il est nécessaire de télécharger une disposition de clavier, comme par exemple le « SBL Hebrew Keyboard ». Les polices de caractères standard suffisent à afficher ces langues, mais on peut préférer les polices à télécharger « Ezra SIL », « SBL Hebrew » et « SBL Greek », notamment pour afficher élégamment les signes absents en hébreu moderne ou en grec moderne. Dans le traitement de textes, on vérifiera la disponibilité d’un bouton permettant de signaler qu’un paragraphe est écrit « de droite à gauche » (left-to-right).
Le site de la Deutsche Bibelgesellschaft permet de lire et de copier-coller les éditions de référence des textes originaux : BHS, Septante de Rahlfs, NA28 : www.die-bibel.de/en .

Être aidé dans l’apprentissage des langues bibliques

Ceux qui apprennent les langues bibliques, ou bien qui les ont apprises sans être devenus exégètes au sens strict, peuvent être aidés par un système qui permette d’afficher le texte en langue originale, d’obtenir automatiquement l’analyse morphologique des mots et leur traduction, et d’effectuer une recherche de toutes les occurrences d’un mot. A ce niveau, de nombreux systèmes sont disponibles, mais on doit signaler qu’ils indiquent rarement de quelle édition provient le texte original, qui a procédé à l’analyse morphologique, d’où provient le dictionnaire utilisé ; les apparats critiques sont absents. Il ne s’agit pas ici de se substituer aux éditions imprimées de référence.

On peut recommander le site web gratuit stepbible.org, géré par les universitaires de l’institut de recherche Tyndale House à Cambridge. Ce site permet d’afficher les textes originaux en hébreu, grec, latin, copte, syriaque… De nombreuses traductions modernes sont disponibles ; pour les traductions françaises récentes, seule la « Segond 21 » (2007). Une analyse morphologique et un dictionnaire sont incorporés ; on peut faire des recherches simples sur un mot hébreu ou grec, et même des recherches plus complexes. Les dictionnaires de Lidell-Scott-Jones et de Brown-Driver-Briggs sont intégrés. Une chaîne Youtube présente des vidéos de formation au système.

Recherche exégétique

Pour le doctorant ou le chercheur, il est essentiel d’utiliser des outils dont les sources soient connues et approuvées. On pourra ainsi afficher le texte original, bénéficier d’une analyse morphologique, de renvois automatiques vers les dictionnaires et grammaires de référence pour le verset étudié ; après un temps de formation, on deviendra capable de faire des recherches qui dépassent de loin l’usage d’une concordance : « trouve-moi tous les versets de la bible hébraïque commençant par un pronom relatif suivi d’un verbe au qal » « trouve-moi tous les versets où tel verbe grec n’est pas suivi d’un complément à l’accusatif »… Certains logiciels disposent aussi des apparats critiques, de la dernière Biblia Hebraica Quinta, et permettent d’acheter des versions numériques d’une multitude d’ouvrages exégétiques contemporains.

Dans les années 1990, les choses étaient simples : on achetait BibleWorks sur PC, et Accordance sur Mac. Le créateur de BibleWorks a hélas pris sa retraite en 2018, mettant fin à la commercialisation du logiciel. Rien n’empêche de continuer à l’utiliser, pour profiter en hébreu du Codex de Leningrad et de sa morphologie établies par le Westminster Theological Seminary, de la Septante de Rahlfs et de sa morphologie établies part le CATSS à l’Université de Pennsylvanie, du NA28 et de la morphologie de Bushell-Aletti-Gieniusz, de nombreuses grammaires de référence, et même des traductions françaises modernes (BJ de 1973, TOB de 2010).

Aujourd’hui, deux logiciels professionnels continuent à être développés et commercialisés : Accordance et Logos. L’un et l’autre sont compatibles Mac, PC, tablette, smartphone. Leurs tarifs dépendent du choix de « packages », qui peuvent être complétés par l’achat de livres individuels. Ainsi Accordance avec la collection « Académique » peut coûter de 400$ (« Blue ») à 1000$ (« Ambre ») ; Logos édition « Académique » coûte de 500$ (« Essentials ») à 1500$ (« Professional »). Ces tarifs laissent deviner le contexte américain, où des universités aux moyens énormes peuvent mettre ces outils à la disposition de leurs étudiants et chercheurs. Avant de les acheter, il est essentiel de vérifier la source des textes bibliques ; ainsi le package de base de Logos dispose d’une édition « Lexham » de la bible hébraïque, présentée comme « Logos’ own, in-house Hebrew Bible », alors que seuls les packages plus chers disposent de l’édition exacte de la BHS. Pour les bibles françaises de référence, on trouve la TOB 2010 pour Logos, mais seulement la Segond 21 pour Accordance ; la BJ est absente.

En plus de ces soutiens numériques à des travaux exégétiques classiques, des recherches nouvelles sont possibles en travaillant avec des spécialistes en mathématiques et informatique, notamment pour la critique textuelle : voir l’article de D. Pastorelli, « L’usage du numérique dans la recherche biblique », Recherches de science religieuse 112/2 (2024) pp. 231-255.
Terminons en signalant le logiciel Paratext, destiné aux traducteurs de la Bible. Créé par plusieurs organismes internationaux dont United Bible Societies et SIL, il permet d’accompagner tout le travail de production d’une traduction biblique : accès aux textes originaux et traductions existantes, travail collaboratif en ligne, mise en page du texte avec ses notes, etc.