Après cet exposé détaillé du texte qui s’est nécessairement étiré en longueur, attirons l’attention sur son message particulier. Il est livré sans conteste en 4, 29-31. L’histoire d’Israël avec YHWH n’est pas arrivée à sa fin, comme le voudrait la logique de l’alliance sinaïtique ; le retour est possible maintenant encore. YHWH n’est pas seulement un Dieu jaloux, mais aussi un Dieu miséricordieux ; il se rappelle son amour pour les patriarches, cette alliance passée avec eux et grevée d’aucune condition.
Ce message ne fait que mettre en lumière ce que des recherches récentes reconnaissent devoir être le message de toute l’histoire deutéronomique. Ce message se manifeste par exemple en cette prière de Salomon, dédicatoire du temple, qu’à diverses reprises, nous avons déjà citée :
Quand les fils d’Israël auront péché contre toi, car il n’y a pas d’homme qui ne pèche, que tu te seras irrité contre eux, que tu les auras livrés à l’ennemi et que leurs vainqueurs les auront emmenés captifs dans un pays ennemi, lointain ou proche, si, dans le pays où ils sont captifs, ils réfléchissent, se repentent et t’adressent leur supplication dans le pays de leurs vainqueurs en disant : "Nous sommes pécheurs, nous sommes fautifs, nous sommes coupables ", s’ils reviennent à toi de tout leur cœur, de toute leur âme, dans le pays des ennemis où ils auront été emmenés et s’ils prient vers toi, en direction de leur pays, le pays que tu as donné à leurs pères, en direction de la ville que tu as choisie et de la Maison que j’ai bâtie pour ton nom, écoute depuis le ciel, la demeure où tu habites, écoute leur prière et leur supplication, et fais triompher leur droit. Pardonne à ton peuple qui a péché envers toi, pardonne toutes leurs révoltes contre toi, et fais-les prendre en pitié par ceux qui les retiennent captifs: qu’ils aient pitié d’eux ; car il s’agit de ton peuple et de ton patrimoine, de ceux que tu as fait sortir d’Égypte, du milieu de la fournaise à fondre le fer. (1 R 8, 46-51) En deux points seulement, ce texte diffère de Dt 4, 1-40. En premier lieu, Dt 4, 1-40 a abandonné la théologie du temple et lui oppose même consciemment des énoncés contraires. En second lieu, la prière dédicatoire reste certainement, bien que très discrètement, au plan d’une espérance humaine, politique. Peut-être après la conversion des exilés à YHWH, une amélioration de leur situation pourrait intervenir. Certes, on ne saurait affirmer qu’en face de cette conception, Dt 4, 1-40 soit uniquement préoccupé du spirituel et de l’essentiel. Il se pourrait fort bien que Dt 30, 1-10, proche parent de Dt 4, 29-31 et de 1 R 8, 46-51, appartiennent au même remaniement d’origine deutéronomiste que Dt 4, 1-40. Mais Dt 30, 1-10 développe une espérance terrestre, non seulement discrète, mais ouvertement affirmée : " Serais-tu égaré à l’extrémité des cieux, de là même YHWH ton Dieu te rassemblerait et il viendrait t’y prendre, pour te ramener au pays que tes pères ont possédé afin que tu le possèdes à ton tour et que tu y sois heureux et que tu y multiplies plus que tes pères " (30, 4s). L’auteur de Dt 4, 1-40 pouvait nourrir une espérance terrestre beaucoup plus avouée que le rédacteur de l’œuvre deutéronomiste ; pour lui, vu le triste présent, un avenir d’Israël était à peine concevable. Une seule chose compte : le rédacteur met résolument de côté en Dt 4, 1-40 tous les aspects terrestres de son espérance et parle uniquement de l’espoir d’Israël de retrouver en YHWH son Dieu. Notre texte ne concerne que YHWH et rien hors de lui.
Ce texte est d’époque tardive. Mais, en toutes ses parties, il réussit à faire parler l’antique commandement en sa pureté originelle. En définitive, c’est de son orientation simple et exclusive vers YHWH son Dieu, que pour Israël tout dépend.
© Norbert Lohfink, SBEV / Éd. du Cerf,
Cahier Évangile n° 140 (juin 2007), ""Écoute, Israël”, commentaires du Deutéronome", p. 62-63.