Il nous faut regarder vers la parole agissante en nous...

Le début du chapitre 3 décrivait l’existence humaine soumise à la perversité de la langue, véritable incarnation du péché compris comme puissance asservissante (v. 1-12). La seconde partie (v. 13-18) et la première partie du chapitre 4 (v. 1-12) abordent la question de la responsabilité de l’homme pris dans ce qu’il convient d’appeler la division du sujet.

v. 13-14 :

Dans ces versets, Jacques dit en substance à ses auditeurs : « arrêtez de discourir à partir de vous – car alors la langue vous domine – mais « parlez » à partir de l’énergie (de l’œuvre) de Dieu en vous ; la sagesse véritable vous est extérieure. Il s’agit de ne pas se mentir à soi-même et à la vérité ; nous sommes prisonniers de la langue perverse, il nous faut regarder vers la parole agissante en nous. Si l’on remplace le mot « langue » par celui de « péché » (compris, à l’instar de Paul, non comme faute morale, mais comme puissance asservissante) le texte de Jacques prend alors un relief saisissant : il ressort que « dompter » sa langue ne relève pas de la volonté, mais d’une véritable « conversion » dont la définition nous est donnée au v. 13 par le terme grec anastrophê habituellement rendu par « bonne conduite ». En fait, le mot grec traduit le mouvement de retournement (litt. « retourner sur ses pas ») que le chœur faisait sur la scène des théâtres antiques ; la bonne conduite dont il est question représente donc une véritable conversion. Telle est la responsabilité de l’humain dans l’usage de la langue : il s’agit non pas de maîtriser quelque chose qui est plus puissant que lui (la puissance du péché), mais de se laisser entraîner dans un mouvement de retournement en vertu duquel, se détournant de la séduction d’une langue trompeuse, il laisse la « douceur de la sagesse » d’en haut apaiser en lui l’impérieux besoin de tromper et de dominer l’autre.

Le v. 14 indique l’étroit chemin que les auditeurs sont invités à emprunter : « Mais si vous avez dans votre cœur un zèle amer et un esprit de dispute, ne vous glorifiez pas et ne mentez pas contre la vérité ». Autrement dit : nous sommes tous, peu ou prou, des hommes et des femmes divisés. La « langue perverse » est tapie à nos portes pour s’emparer de notre volonté. Il est donc indispensable de ne pas mentir, ni à nous-mêmes ni à la vérité. Il ne s’agit pas ici d’un simple effort de la volonté. La puissance du péché ne se combat pas à coup d’exhortations à bien faire.

v. 15 :

Fondamentalement, Jacques contraint ses auditeurs à ouvrir les yeux sur eux-mêmes, à reconnaître qu’ils sont habités par cette sagesse « terrestre, animale, démoniaque », qui vise à dominer l’autre, à l’instrumentaliser, à en faire un esclave ou l’objet d’une jouissance égoïste. Et ce constat ne concerne pas les périodes les plus sombres de l’histoire ou les individus les moins recommandables de ce monde, mais il s’agit de discerner ce qui, dans les entreprises humaines en apparence les plus généreuses et altruistes, relève de cet irrépressible besoin de ne pas lâcher prise mais de toujours vouloir prendre possession de la volonté de l’autre.

v. 17-18 :

Ce regard de vérité sur soi-même n’est possible qu’en tournant son regard vers la « sagesse d’en haut » (v. 17) qui, seule, a la possibilité de libérer de l’emprise de la duplicité de la langue et de faire de l’existence un terrain disponible pour que soit semé « un fruit de justice » (v. 18).



© Jacqueline Assaël et Élian Cuvillier, Cahier Évangile n° 167, Au miroir de la Parole. Lecture de l'épître de Jacques, p. 47-48.