Ce livre est un recueil ordonné d’écrits brefs, certains très brefs...

Ce livre est un recueil ordonné d’écrits brefs, certains très brefs. C’est un florilège rassemblant la geste de vingt-trois figures prophétiques connues par la Bible. En dépit du titre, très tardif, il ne s’agit guère de pièces biographiques au sens strict du terme, mais plutôt d’un choix calculé d’unités légendaires, folkloriques ou populaires. Autant d’échos directs, littérairement valorisés, de figures contemporaines de Jésus et des évangélistes, reflets orchestrés de la religiosité imprégnant la société ambiante. [... ]

Un schéma biographique uniforme
Les vingt-trois Vies sont unanimes à mentionner le lieu d’origine de chaque prophète, ses faits miraculeux ou merveilleux (en grec des térata, « faits prodigieux », terme qui désigne aussi des oracles), pour quelques-unes le martyre (Isaïe, Jérémie, Ézéchiel, Amos, Michée, Joad et Zacharie).

Pour finir, est signifié le lieu de la sépulture. Voilà peut-être le sommet ou la pointe de chacune des Vies. Pour d’aucuns, en assemblant ainsi ces textes on a voulu réaliser une sorte de guide pour pèlerins en Terre sainte. On notera que l’évangéliste Luc se réfère à la construction récente de grands mémoriaux, mais aussi à l’assassinat de prophètes par leur propre peuple, comme le montre bien cette phrase : « Malheur à vous, car vous bâtissez les tombeaux des prophètes, et ce sont vos pères qui les ont tués » (Lc 11,47). 

Quatre éléments sont donc constitutifs de chacune des Vies. On les retrouve strictement désignés par ce titre développé et conservé par le meilleur des témoins textuels (Codex Marchalianus) : « Les noms (1) des Prophètes, et d’où (2) ils viennent, et où (3) ils moururent et comment, et où (4) ils gisent ». La plus courte des vingt-trois notices se résume à cette simple phrase : « Joël (1) était de la terre de Ruben (2) dans la campagne de Beth-Méon ; il mourut (3) en paix et là (4) même il fut inhumé ». La formule classique Vies des Prophètes n’est qu’une subscriptio commode, venue a posteriori. Enfin, selon les prophètes, s’ensuit ou non un rappel plus ou moins long de légendes hagiographiques et de récits thaumaturgiques, le tout mêlé d’actes prophétiques baignant volontiers dans le merveilleux.

En osmose avec les récits des Évangiles
Dans les Vies des Prophètes, la dimension thaumaturgique s’exprime avec un relief aigu, ce qui représente une exception notable dans la littérature judaïque ancienne. Elle disparaît du récit biblique sitôt après le « cycle » d’Élie et d’Élisée (1 R 17-19 ; 2 R 2, etc.). Certes, plusieurs des manuscrits retrouvés dans les grottes de Qumrân contiennent des récits ou recettes d’exorcismes, mais cela relève principalement de la magie (condamnée par la Loi de Moïse en Dt 18,9-14, avec une reprise majorante dans le Rouleau du Temple, LX, 16-21). Même constat pour la dimension hagiographique (à l’exception sans doute de 2 Maccabées). Avec ampleur et détermination, les livres du Nouveau Testament, les récits évangéliques surtout, raviveront l’une et l’autre dimension, la première principalement. D’ailleurs, pour ce qui concerne la mise à mort des prophètes, ils semblent avoir connu, sinon les textes eux-mêmes du moins des traditions voisines ou sous-jacentes. Jugeons-en par ces citations : « Jérusalem, Jérusalem, toi qui tues les prophètes et lapides ceux qui te sont envoyés… » (Mt 23,37 et Lc 13,34) ; « Malheur à vous, scribes et Pharisiens hypocrites, qui bâtissez les sépulcres des prophètes et décorez les tombeaux des justes » (Mt 23,29 et Lc 11,47) ; « … c’est bien ainsi qu’on a persécuté les prophètes, vos devanciers » (Lc 6,23). Ajoutons que l’Épître aux Hébreux évoque le martyre des prophètes, parmi ceux « qui ont été lapidés, sciés, qui ont péri par le glaive… » (He 11,37).


© André Paul, SBEV / Éd. du Cerf, Cahier Évangile n° 153 (septembre 2010), "De l'Ancien Testament au Nouveau - 2. Autour des Prophètes et des autres Écrits", pages 4...7.