Les événements racontés dans les histoires de Jacob et de Moïse comportent un certain nombre de similitudes tout en offrant une perspective différente...

Les événements racontés dans les histoires de Jacob et de Moïse comportent un certain nombre de similitudes tout en offrant une perspective différente. De nombreux parallèles peuvent être établis :

● Un récit de naissance dans des conditions particulières : lutte dès le sein maternel (Gn 25,21-26) / persécution des premiers-nés par Pharaon (Ex 2,1-10) ;

● Une action de jeunesse : vol de la bénédiction (Gn 27,1-40) / meurtre de l’Égyptien (Ex 2,11-14) qui oblige à la fuite (Gn 27,41-45 / Ex 2,15) ;

● Une rencontre auprès d’un puits avec une ou plusieurs jeunes filles venues abreuver un troupeau (Gn 29,1-14 / Ex 2,16-21), l’accueil dans la famille, le mariage et les enfants, chez Laban (Gn 29,15–30,24) ou chez Réouël (Ex 2,18-22) ;

● Le retour dans le pays d’origine : Jacob et sa famille (Gn 31,1–32,22), Moïse (Ex 4,18-23) avec, en chemin, une dangereuse rencontre avec la divinité (Gn 32,23-33 / Ex 4,24-26) ; les héros retrouvent leur point de départ (Gn 33,1-20 / Ex 4,27-31).

En plus de ces parallèles, relevons que Jacob sert Laban comme le peuple d’Israël sert Pharaon. Puis Jacob dit à Laban : « Laisse-moi partir » (Gn 30,25), comme Moïse dit à Pharaon : « Laisse partir mon peuple » (Ex 7,26). Jacob est poursuivi par Laban (Gn 31,17-23) comme Moïse et le peuple sont poursuivis par Pharaon (Ex 14,5-10) jusqu’à la traversée de l’eau (Gn 32,23-24 [Yabboq] / Ex 14,26-29 [mer des Joncs]).

Les deux étranges séquences de l’attaque par la divinité (Gn 32,23-33 / Ex 4,24-26) ont plusieurs points communs (Voir Jean-Louis Ska, « Nos pères nous ont racontés », C.E. 155 (2011), pp. 90-91) : un agresseur inconnu prend l’initiative du combat et le héros est surpris alors qu’il retourne vers son lieu d’origine, un lieu d’où il a fui (Canaan pour Jacob et l’Égypte pour Moïse) ; l’affrontement a lieu de nuit et s’annonce comme une lutte à mort ; le héros en sort vivant mais marqué dans une partie du corps (Jacob est touché à la hanche et Moïse est circoncis). Cette rencontre permet dans les deux cas un changement de statut du héros qui en ressort dûment qualifié pour combattre Pharaon dans le cas de Moïse, reconnu comme l’ancêtre « Israël » dans le cas de Jacob ; l’agression survient à un moment décisif de l’itinéraire (Jacob va affronter son frère Esaü alors que Moïse est en route pour défier Pharaon).

Par-delà ces ressemblances, les deux histoires inscrivent leur héros dans un scénario bien différent. La réussite de Jacob s’exprime par la constitution d’une famille, d’une maison puissante qui fait de lui un ancêtre de poids accompagné par la bénédiction de son dieu. Moïse, lui, ne deviendra jamais un ancêtre tribal et n’a pas de descendance identifiée. Il est institué guide de la communauté, médiateur, mais sa généalogie ne compte guère et l’avenir de ses fils est à peine connu. Il n’aura pas de tombe et n’entrera pas dans le pays qui lui a été promis ; son identité ne se définit pas par l’autochtonie mais par sa vocation à l’itinérance, à l’exode et à la liberté.

 
© Corinne Lanoir, Cahier Évangile n° 171, Jacob, l'autre ancêtre, p. 32-33.