Les psaumes scandalise parfois en raison de la violence de ses propos à l'endroit des "ennemis". Comment comprendre et interpréter ces paroles ?
Les psaumes étonnent, voire scandalisent parfois, par la rudesse de leurs propos à l’endroit des « ennemis ». Ces paroles heurtent de plein fouet nos convictions évangéliques. Le choc est inévitable. Peut-on encore désigner comme « Paroles de Dieu » des paroles qui laissent éclater la violence (lire les passages peu édifiants des imprécations: par exemple 5,11; 18,35-43; 35,1-8; 109,6-20; 137,7-9, etc.) et ne laissent aucune chance de conversion « aux adversaires » ?
L'office de la Liturgie des Heures a pratiquement résolu le problème en éliminant presque tous les versets qui font appel à la violence. Quelques rares exceptions subsistent, tel le cri du psaume 118 : « Au nom du Seigneur, je les détruis ! » (versets 10-12). Mais éliminer ou feindre d'ignorer ces versets, est-ce bien là une solution ? Le danger, en effet, est de se retrouver avec une liturgie qui refuse de voir la réalité, peu édifiante mais encore à convertir, de la violence et de l'injustice dans le monde. Sur le pour et le contre d'une telle pratique, on pourra se référer à l'excellent dossier présenté dans la revue La Vie Spirituelle dans les premières années où s'est faite la refonte du psautier liturgique (mars 1970, pp. 291-336).
Il ne saurait être question de canoniser la violence des versets d'imprécation. Mais puisqu'ils sont là, dans la Bible, comment faut-il les entendre ?
Qu'on aime ou qu'on n'aime pas, il y a de la violence dans le monde, autour de nous mais aussi en nous. Ce fait est reflété par les psaumes. Si les psaumes nous livrent un message rempli d'espérance en Dieu, ils n'ignorent cependant pas la dure réalité de notre monde, et traduisent une indignation tout à fait normale devant les situations d'injustice. Là où ils expriment la violence, il ne faut pas entendre ces cris comme des dogmes, mais comme l'occasion de se poser une question: qu'en est-il de la violence en moi ? Où en suis-je dans le pardon aux ennemis ?
Une première lecture du Ps 109, 6-19 suffit pour rendre conscience des excès auxquels peut mener une telle exposition à l'injustice et aux coups de l'adversaire. Mais une lecture plus attentive permet également de mieux comprendre ce qui se passe chez le psalmiste :
• Il ne s'agit pas d'un déploiement aveugle et arbitraire de violence. Au contraire, on voit que le psalmiste a tout essayé pour gagner l'amitié de ses adversaires (amour, bienveillance, prière vv. 4-5).
• Il reconnait lui-même combien sa réponse est excessive et maladroite en ce qu'il se dit blessé et intérieurement bouleversé : « Pauvre et malheureux, je le suis, et au fond de moi, le cœur est blessé » (v. 22). Ni complaisance ni triomphalisme donc dans la violence de ses propos.
• Il ne pavoise pas non plus de manière pharisienne en se prétendant meilleur que les autres: la mention de son jeûne (v. 24) fait foi de son effort pour exorciser le mal en lui.
• Et enfin, mieux que tout, il faut noter comment le psaume s'achève sur une note beaucoup plus sereine (vv. 37-31): comme quoi une conversion est survenue au cours de la prière. L'important n'est donc pas comment on vient à la prière, mais comment on en ressort !
© Jean-Pierre Prévost, SBEV / Éd du Cerf, Cahier Évangile n° 71 (Mars 1990), « Petit dictionnaire des Psaumes », p. 39 (encadré).