Dans tous les récits, la notion du temps est fondamentale...

Dans tous les récits, la notion du temps est fondamentale, non seulement parce qu’ils rapportent des événements qui se sont produits dans un temps donné, mais également parce que l’acte même de raconter – la narration – prend du temps et demande d’organiser les événements sur un axe temporel. C’est pourquoi nous commençons notre étude par analyser cette notion. Les chapitres suivants se référeront souvent aux définitions et distinctions établies ici.

S. Chatman (1978, p. 62) utilise les expressions temps de l’histoire (story-time) et temps du discours (discourse-time) en cohérence avec sa distinction entre histoire et discours. D’autres critiques littéraires, comme M. Sternberg (1978, p. 14-16), parlent de temps représenté (represented time) et temps représentant (representational time). La distinction remonte au théoricien allemand G. Müller (1948) qui opposait erzählte Zeit et Erzählzeit

Le temps raconté (erzählte Zeit) correspond à la durée des actions et des événements dans l’histoire. Il est mesuré en unités de temps « réel » (secondes, minutes, heures, jours, mois, années, siècles, millénaires…).

Le temps racontant (Erzählzeit) correspond au temps matériel nécessaire pour raconter (ou parcourir) le discours concret, oral ou écrit. Ici, la durée correspond à la longueur du récit et se mesure en mots, phrases, lignes, vers, paragraphes, pages, chapitres… Quelques mots peuvent résumer de longues périodes temporelles (Gn 4,3 ; 29,20…) alors qu’il faut force détails pour relater tel événement. Ce genre d’accélération ou de ralentissement joue sur le rythme du récit. Si dans les dialogues le temps racontant et le temps raconté coïncident presque, normalement le temps racontant est plus bref que le temps raconté. La relation entre les deux permet au lecteur de détecter les choix que le narrateur a effectués pour produire certains effets.

Par exemple, dans la neuvième plaie d’Égypte, la plaie des ténèbres, le récit spécifie que les ténèbres ont régné sur l’Égypte « pendant trois jours » (Ex 10,22-23). Le temps raconté est donc de trois jours. Le temps racontant est de deux versets, soit une cinquantaine de mots dans une traduction française et une trentaine dans le texte hébreu original. Le temps raconté est donc beaucoup plus long que le temps racontant.
Autre exemple : le Deutéronome contient les derniers discours de Moïse, prononcés le dernier jour de son existence (Dt 1,3 ; 32,48-52 ; 34,5). Le temps raconté est donc celui d’une journée, et le temps racontant celui des 34 chapitres du Deutéronome. Il s’agit du « jour le plus long » de tout le séjour au désert.
 

© Jean-Louis Ska, SBEV / Éd. du Cerf, Cahier Évangile n° 155 (mars 2011), "Nos pères nous ont raconté - Introduction à l'analyse des récits de l'Ancien Testament", p. 12-13.