Sans Pâques, il n’y aurait jamais eu d’évangiles rédigés, publiés, diffusés...

Jésus n'a rien écrit

Sans Pâques, il n’y aurait jamais eu d’évangiles rédigés, publiés, diffusés. Jésus de Nazareth lui-même n’a rien écrit. Avant Pâques, il n’y avait nullement besoin d’évangiles écrits. Jésus annonce la proximité immédiate de la venue du Royaume de Dieu. À quoi bon transcrire ses paroles, faire des reportages sur lui, puisque le monde présent va très bientôt disparaître pour laisser place au monde de Dieu ? Dans ce temps d’urgence absolue, pas le temps de peaufiner des textes pour une postérité improbable ! Jésus n’a jamais demandé à ses compagnons de se transformer en journalistes d’actualité.

Et puis, comment les disciples d’un maître sans grandes ressources auraient-ils pu se procurer un matériel d’écriture à l’époque extrêmement onéreux et le transporter de villages en villages ? Les premiers compagnons de Jésus sont des artisans pêcheurs. Ils tirent leur subsistance du lac de Galilée. Ils ne sont pas initiés à l’art des scribes. Aucun évangile n’a été élaboré à l’époque de la prédication de Jésus de Nazareth. L’idée d’écrire, ou même de prendre du temps pour écrire, ne serait venue à l’idée de personne. Il y avait plus urgent à faire : que chacun se convertisse avant qu’il ne soit trop tard, car « le Règne de Dieu s’est approché » (Mc 1,14).

La nouveauté de Pâques

Pâques a totalement surpris les disciples. Ils découvrent que Jésus, leur maître crucifié, est le Vivant. Il est relevé des morts, exalté dans les cieux près de Dieu. « Il est ressuscité » (Mc 16,6), non pas qu’il soit vivant d’une vie semblable à l’ancienne, non pas qu’il ait repris sa vie d’avant comme si sa mort n’avait été qu’une mauvaise parenthèse. Jésus désormais respire la vie même de Dieu, donc une vie tout autre et toute nouvelle.

En reprenant ce qu’ils ont vécu avec Jésus, en méditant la dernière semaine tragique à Jérusalem, en relisant les Écritures saintes, les disciples comprennent, grâce à l’Esprit saint, que Jésus est leur Seigneur « assis à la droite de Dieu » (Mc 16,19). Le Royaume (ou Règne) de Dieu est bien là, loin de l’idée qu’ils s’en faisaient. Ils croient maintenant que leur Seigneur les destine à vivre avec lui de cette vie des cieux pour leur bonheur. Ils relisent et découvrent les paroles de Jésus sur l’amour divin pour tous. Son relèvement est le premier signe du relèvement de tous. Le Ressuscité est le « premier-né d’entre les morts » (Col 1,18).

Le bouleversement est total. La Pâque du Seigneur les engage désormais sur les routes du monde pour annoncer partout cette nouvelle inouïe et heureuse. Le Crucifié est ressuscité ! Jésus est Seigneur de tous, pour le bonheur de tous. C’est leur première et principale conviction de foi. Elle les anime et les transforme en missionnaires intrépides.

L’écriture des évangiles

Mais tous ces événements qui vont de Pâques aux premières missions hors de Jérusalem ne suffisent pas à mettre en chantier les évangiles écrits. Il faudra encore du temps.

Il faudra attendre l’installation d’assemblées chrétiennes dans plusieurs pays et le souci de leur transmettre fidèlement la foi au Ressuscité. Il faudra la supplique de ces nouveaux chrétiens qui exigent de mieux connaître Jésus, ses paroles et ses gestes. Il faudra les premières crises pour que le besoin naisse de laisser une trace tangible de l’Évangile du Ressuscité. Il faudra former les missionnaires et leur laisser des aide-mémoires pour que, peu à peu, des balbutiements d’évangiles écrits voient le jour. Ce faisant, les disciples chercheront à mettre en avant leur foi au Seigneur Jésus ressuscité qui se trouve mystérieusement présent au milieu de ceux qui se réunissent en son nom.

Le grand récit de la Passion

Des collections de paroles, ou de petits récits autour de gestes de Jésus, voient le jour. Comme tous les prédicateurs de son temps, Jésus utilisait des techniques pour attirer l’attention de ses auditeurs : les paraboles, par exemple, qui étaient des comparaisons faciles destinées à mieux se faire comprendre. Mais tout ce travail de rassemblement d’épisodes divers n’annule pas la conviction de foi première qui désormais transfigure tous les écrits sur Jésus : la Résurrection.

Le premier gros morceau des évangiles à se mettre en place semble bien être le long récit de la dernière semaine de Jésus à Jérusalem, que la tradition ultérieure appellera « récit de la Passion ». Le temps de la Passion manifeste parfaitement ce qui animait en permanence Jésus, le moteur constant de sa vie : l’amour de Dieu son Père jusqu’au bout, jusqu’à donner sa vie pour tous.

Un travail de sélection

Nombre de paroles et de gestes de Jésus n’ont pas été retenus parce que de peu d’importance pour le témoignage de foi au Ressuscité que les rédacteurs des évangiles voulaient transmettre. Quant à ceux qui ont été retenus, ils ont pu être « adaptés » à la situation nouvelle d’après Pâques. Les évangélistes n’avaient pas le sentiment de trahir le message de Jésus de Nazareth, bien au contraire. C’est la fidélité au Seigneur ressuscité qui l’exigeait. On le constate, par exemple, dans l’explication nouvelle donnée à certaines paraboles dont le contexte immédiat avait changé. Les évangiles leur ont donné une destination nouvelle, en correspondance avec le témoignage au Ressuscité.

Les évangiles ne sont pas du reportage en direct, pris sur le vif. Ils ont été rédigés en vue de témoigner de la foi au Ressuscité pour que leurs lecteurs approchent le Seigneur Jésus, le Vivant, qui les destine à le rejoindre près du Père lors de sa venue glorieuse. Même s’ils ont pris la forme d’une « vie de Jésus », les évangiles sont indissociables de la foi en la Résurrection. Dans chacune de leurs pages, ils racontent le Crucifié ressuscité.

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© Marc Sevin, Cahier Évangile n° 169, Mots de passe pour les Évangiles, p. 6-8.