L’une des premières questions qui s’est posée aux communautés naissantes, c’est celle du retard de la manifestation du Ressuscité dans sa gloire...
Pour prendre en compte toutes ces questions variées et difficiles, pour communiquer entre les différentes communautés des solutions et des réflexions qui foisonnent, vont naître des écrits comme, par exemple, les lettres de responsables missionnaires. Nous sont parvenues ainsi des lettres de Paul, de Pierre, de Jacques… Des collections de paroles et de récits sur Jésus ont vu aussi le jour. Et les récits de la Passion, qui suivent grosso modo un même schéma, ont commencé à circuler. On sait que l’évangile de Marc a eu cette idée géniale de rassembler ces documents sous forme d’un récit suivi qui part du baptême de Jésus jusqu’à la croix et la découverte du tombeau vide. Il a influencé d’une manière ou d’une autre les trois autres évangiles : Matthieu, Luc et Jean. On constate que chaque évangéliste s’adresse à l’origine à des communautés différentes, les unes plus axées sur la fidélité à la tradition du passé, d’autres plus ouvertes à la nécessité d’accueillir les étrangers dans les communautés.
Les évangiles apparaissent comme des écrits de circonstance. Ils ne descendent pas des cieux. Ils entendent répondre aux multiples questions posées par la vie des communautés, au jour le jour. Celles-ci ont à régler, outre les problèmes matériels, des questions disputées au niveau de la foi, de la prière, de la liturgie, des relations avec les frères juifs, d’autant que les disciples se considèrent eux-mêmes comme des Juifs à part entière. Il fallait également régler les relations avec les autorités locales, les frictions et les querelles à l’intérieur du groupe sur la manière de se conduire, et préciser la place et les responsabilités des uns et des autres.
Bref, les évangiles sont nés des soucis et des préoccupations des chrétiens qui forment l’Église, le rassemblement, l’assemblée des disciples du Ressuscité.
Voilà pourquoi le deuxième « mot de passe » que l’on peut faire fonctionner pour découvrir en vérité les évangiles, est celui d’« Église ». En un filigrane bien visible, les évangiles disent l’aventure de ceux qui ont accueilli la foi pascale et croient que le Ressuscité est le Vivant mystérieusement présent au milieu d’eux. Jésus reste présent à son Église : elle peut compter sur lui.
Un changement d’auditoire
Le grand changement entre la prédication de Jésus et celle des évangiles est celui de l’auditoire. Jésus de Nazareth prêche pour annoncer aux siens la venue du Royaume. Il cherche à les convertir, à les amener à accueillir les temps nouveaux. Les évangiles prêchent, eux, à des convertis. Ils s’adressent d’abord aux disciples qui ne sont plus dans le temps de Jésus de Nazareth, mais dans celui de l’Église chargée d’aller témoigner de la foi de Pâques jusqu’aux extrémités de la terre.
Les évangélistes ne cherchent pas à reconstruire minutieusement le passé comme des archéologues, mais veulent aider des chrétiens de fraîche date à comprendre leur présent et les pousser à faire connaître le Seigneur à toutes les nations. Cette annonce s’inscrit dans l’attente de la venue glorieuse du Christ dont ils comprennent qu’elle n’est peut-être pas pour tout de suite : elle viendra et, en attendant, les chrétiens ont un travail à accomplir, celui de témoigner que le salut de Jésus est offert à tous. Le curseur n’est plus posé sur la même graduation. Le temps d’avant Pâques et celui d’après sont totalement différents. L’accent des évangiles porte sur le présent qui mène vers Dieu. Ils ne s’intéressent au passé – le temps de Jésus de Nazareth – que dans la mesure où il prépare et explique le temps de Jésus ressuscité et introduit à l’aujourd’hui.
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