Les traductions interconfessionnelles font partie de la dynamique œcuménique...

En 1949, le théologien orthodoxe Paul Evdokimov remarquait : « Catholiques, protestants, orthodoxes, nous sommes tous groupés autour de la Bible. La Bible fermée nous unit : dès que nous ouvrons ses pages, la Bible ouverte nous désunit. » En effet, chaque confession religieuse a produit au cours de l’histoire son propre canon, ses propres règles d’interprétation, ses propres traductions et partant ses propres éditions, réseaux de diffusion et lieux de lecture. Mais, depuis les années 1960, nous avons vu apparaître des éditions communes de la Bible. Il ne fait pas de doute que le concile Vatican II a joué ici un rôle décisif, non moins d’ailleurs que la pratique et l’expérience des sociétés bibliques regroupées dans l’Alliance biblique universelle. Dans cet article, après un survol historique, nous tenterons une évaluation des modèles suivis par les traductions interconfessionnelles. [1]

Par Stefan Munteanu, Institut de théologie orthodoxe Saint-Serge (Paris)

 

Les traductions interconfessionnelles font partie de la dynamique œcuménique. Avec le professeur Carlo Buzzetti, nous pouvons avancer que « l’œcuménisme renvoie à l’unité que les chrétiens doivent encore atteindre, tandis que l’activité interconfessionnelle part d’un degré d’unité déjà existante entre les chrétiens ». Travailler ensemble à une traduction commune ne peut qu’alimenter « le désir d’être plus unis » (La Bibbia e la sua traduzione, 1993).

De Dei Verbum (1965) à Verbum Domini (2010)

Le concile Vatican II a donné une impulsion décisive : « Comme la Parole de Dieu doit être à la disposition de tous les temps, l’Église, avec une sollicitude maternelle, veille à ce que des traductions appropriées et exactes soient faites dans les diverses langues, de préférence à partir des textes originaux des Livres sacrés. S’il se trouve que, pour une raison d’opportunité et avec l’approbation des autorités ecclésiastiques, ces traductions soient le fruit d’une collaboration avec des frères séparés, elles pourront être utilisées par tous les chrétiens » (constitution Dei Verbum, 1965, n° 22).

Ce souhait posait un certain nombre de problèmes tant pour les catholiques que pour les protestants : d’abord, ceux-ci n’acceptaient pas les livres deutérocanoniques, considérés comme « apocryphes » ; ensuite, les missionnaires de chaque confession usaient de vocabulaires différents pour exprimer les termes théologiques issus de la Bible ; enfin, catholiques et protestants voyaient différemment l’interprétation et la traduction du texte saint.

Cependant rien n’était insurmontable. L’Alliance biblique universelle (A.B.U., voir encadré) avait engagé des contacts avec le tout nouveau Secrétariat pour la promotion de l’unité des chrétiens, présidé par le cardinal Augustin Bea, ancien bibliste (1960). En effet, dans les pays dits « de mission », les Sociétés se mettaient parfois au service des évêques qui ne disposaient pas de traductions catholiques de la Bible dans la langue locale. Notons déjà que c’est en profitant de leur compétence que certains des nouveaux lectionnaires catholiques en langue vernaculaire voulus par la constitution Sacrosanctum Concilium (1963) ont par la suite été élaborés.

Dei Verbum continue : « De plus, que l’on fasse à l’usage des non-chrétiens eux-mêmes, des éditions de l’Écriture sainte, annotées comme il faut et adaptées à la situation des destinataires ; que, de toute manière, pasteurs d’âmes et chrétiens, quel que soit leur état, veillent à les diffuser judicieusement » (D.V., n° 25). Cela pouvait-il se faire sans une coopération active avec l’A.B.U. ?

En avril 1966, le pape Paul VI chargea le cardinal Bea d’étudier comment appliquer les directives du Concile. Le mandat incluait deux étapes : la consultation des conférences épiscopales puis la préparation de normes pour la collaboration entre traducteurs catholiques et protestants. La consultation s’étala jusqu’en mai 1967. Il apparut que les éditions catholiques de la Bible n’existaient qu’en quatre-vingt langues. Certaines traductions étaient bonnes, d’autres nécessitaient une révision. Dans de nombreux cas, on notait un usage liturgique et pastoral insuffisant. Quant à la traduction et à la diffusion en commun, beaucoup d’évêques répondirent qu’ils n’avaient rien de semblable ou presque dans leur région et qu’il fallait se réjouir de chaque initiative de l’A.B.U.[2]

Dans le même temps, le cardinal Bea et son assistant, le père Walter M. Abbott, discutaient avec l’A.B.U. de la possibilité de traductions communes.

En mai 1966, le conseil de l’A.B.U., réuni à Buck Hill Falls (Pennsylvanie, U.S.A.), vota à l’unanimité la résolution de coopérer avec les catholiques dans des projets bibliques. Par la suite, les membres protestants et anglicans de chacune des 37 sociétés nationales présentes ratifièrent la résolution.

En janvier 1967, à Rome, une première réunion d’experts-traducteurs de l’A.B.U. et de biblistes catholiques mit au point un avant-projet de principes directeurs pour une coopération interconfessionnelle. En septembre 1967, à Genève, le comité exécutif de l’A.B.U. le ratifia. En janvier 1968, à Londres, des représentants de l’Église catholique et de l’A.B.U. le finalisèrent. Le document, intitulé Guiding Principles for Interconfessional Cooperation in Translating the Bible (Principes pour la coopération interconfessionnelle dans la traduction de la Bible), fut signé au Vatican le 2 juin 1968, dimanche de Pentecôte.

Dans sa première partie (« Aspects techniques »), le document traite des questions liées aux textes originaux, au canon (place des « deutérocanoniques » ou « apocryphes »), aux opinions exégétiques, aux informations complémentaires à mettre dans les notes, aux aspects linguistiques concernant la translittération des termes bibliques et techniques, des noms propres et des lieux. La deuxième partie (« Manières de procéder ») concerne les étapes à suivre dans le travail et les problèmes liés à la publication : le climat de collaboration, les projets de révision ou de nouvelle traduction, l’organisation de l’équipe des traducteurs, le choix de ceux-ci, la formulation des principes de traduction, la supervision de l’édition, les types d’éditions, l’imprint des sociétés bibliques, l’imprimatur de l’autorité catholique.

Au début de l’année 1968, il y avait, dans le monde, cinquante cas de collaborations interconfessionnelles. Vingt ans après, en 1987, il y avait des traductions interconfessionnelles de la Bible entière ou du Nouveau Testament seul dans plus de 160 langues.

En novembre 1987, l’accord est mis à jour dans les Guidelines for Interconfessional Cooperation in Translating the Bible (Directives concernant la coopération interconfessionnelle dans la traduction de la Bible)[3]. L’intention fondamentale demeure inchangée : servir la préparation et la révision de traductions communes destinées à toutes les communautés chrétiennes parlant la même langue.

Ni les Principes directeurs de 1968, ni les Directives de 1987 ne mentionnent explicitement les orthodoxes. Mais, dans les années 1990, au vu du nombre des demandes de traductions, les Églises orthodoxes d’Europe de l’Est et de Russie ont établi un plan de coopération avec l’A.B.U. Malgré les tensions interconfessionnelles locales, l’A.B.U. a réussi, en créant des sociétés bibliques nationales, à ouvrir des chantiers communs[4]. Les directives de 1987, dit-elle, « devraient aussi être appliquées, comme un accord commun, dans d’autres projets tels que des traductions protestants-catholiques-orthodoxes, ou catholiques-orthodoxes » (note d’avril 2004).

En 1993, le Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens avait engagé la Fédération biblique catholique (F.B.C., organe international qui veille à la mise en œuvre pastorale de Dei Verbum) à travailler plus étroitement avec l’A.B.U. En octobre 2008, au cours du Synode des évêques catholiquessur « la Parole de Dieu dans la vie et la mission de l’Église », une déclaration commune de l’A.B.U. et de la F.B.C. a été signée (voir encadré). Elle prend acte que si, en 2008, la Bible entière est traduite dans 438 langues, le Nouveau Testament dans 1 168 langues et quelques livres comme les évangiles ou les psaumes dans 848 langues, il reste 4 500 langues qui attendent leur propre version des Écritures. Tâche immense que le pape Benoît XVI a ainsi commentée : « Nous savons que traduire un texte n’est pas une tâche purement mécanique mais fait partie en un certain sens du travail d’interprétation. À ce sujet, le vénérable Jean-Paul II a affirmé : “Ceux qui se rappellent quelle influence les débats autour de l’Écriture ont eus sur les divisions, surtout en Occident, peuvent comprendre l’avancée notable que représentent ces traductions communes.” En ce sens, la promotion des traductions communes de la Bible participe à l’effort œcuménique » (Exhortation apostolique Verbum Domini, 2010, n° 46).

Les divers modèles de traductions
La collaboration entre Églises étant engagée, reste le travail même de traduction. Or, dès avant l’accord de 1968, des essais avaient eu lieu. Des experts catholiques avaient été intégrés à divers projets de l’A.B.U. en Europe, en Afrique et en Asie, rejoignant des traducteurs protestants et anglicans.

Il s’agissait de chercher quel était le meilleur instrument de coopération. Sont apparus trois modèles de traduction, selon le groupe destinataire ou l’objectif visé : liturgiques, dans un langage traditionnel, à l’usage des célébrations ; littérales, dans un style littéraire moderne pour le public cultivé (souvent avec des notes historiques et littéraires) ; courantes, dans un langage commun.

Les premières expériences entre catholiques et protestants ont montré que c’est plutôt à partir de ce dernier modèle qu’il fallait travailler – il correspondait bien au désir du concile Vatican II de rendre la Bible « accessible à tous ». Les Principes directeurs de 1968, repris dans les Directives de 1987, précisent qu’une traduction commune devrait tendre à un style « à la fois expressif et adapté à la lecture publique », pouvant « être compris de ceux qui sont dans l’Église et de ceux qui sont au dehors, dans un langage approprié à l’importance du message et reflétant en même temps l’usage courant ».

Les traductions en langage courant sont donc encouragées, sans pourtant éliminer les deux autres. D’ailleurs, les textes de 1968 et 1987 mentionnent que, dans les pays où la traduction de la Bible a une longue histoire, on doit établir un rapport entre le langage courant et le langage « traditionnel » qui possède une réelle valeur pastorale et liturgique.

Une traduction interconfessionnelle n’étant jamais l’œuvre d’un seul traducteur, mais d’un groupe qui doit s’appuyer sur des convictions linguistiques et littéraires communes, la question de la méthode à adopter s’est vite posée. Il fut alors entendu que les traducteurs devaient tenir compte des recherches du linguiste américain Eugène Albert Nida, base de nombreux séminaires organisés l’A.B.U. Nida distinguait deux méthodes : l’« équivalence formelle » (littérale) et l’« équivalence fonctionnelle » (littéraire). Ce sont celles que nous utilisons ici par commodité. [5]

• Les traductions littérales

Dans les traductions interconfessionnelles littérales prédomine la méthode dite d’« équivalence formelle ». Celle-ci repose sur la volonté de privilégier autant que possible la forme même du texte original et d’imiter dans la langue d’arrivée les tournures spécifiques de la langue source. Au niveau de la structure de surface, la tâche du traducteur se limite à un transfert des termes de la langue source à la langue cible. La traduction devient ainsi un type de communication qui tend à calquer le texte original.

Bien que l’attention du traducteur soit principalement focalisée sur la forme du texte, le résultat est loin d’en être une reproduction mot-à-mot. Ainsi, les structures syntaxiques sont celles de la langue réceptrice, non celle de la langue originale. Le texte source est transmis dans une forme qui est toujours compréhensible par les destinataires. Cela permet d’ailleurs de souligner qu’une traduction de ce type demeure dans la dynamique d’une communication efficace de la Parole de Dieu. On la retrouve aussi bien dans la Bible Segond (protestante) que dans la Bible de Jérusalem (catholique).

La T.O.B. est un exemple de traduction interconfessionnelle effectuée selon les principes de l’« équivalence formelle ». Avec peu d’exceptions, elle transmet bien en français la forme du texte biblique original (voir encadré).

Dans le passage d’une langue à une autre, les traductions littérales se caractérisent par un certain nombre de règles. Bien qu’elles ne soient pas toutes clairement explicitées ou applicables, on peut mentionner les suivantes :

a) Les caractéristiques formelles les plus évidentes sont soigneusement conservées. Ainsi, la prose se traduit toujours en prose, la poésie en poésie, le texte imite le style de l’auteur et l’ordre des mots du texte source ainsi que sa structure métrique.

b) L’individualité et la longueur de chaque phrase ou fragment sont gardées. À l’intérieur des phrases, la correspondance des catégories de mots entre la langue source et la langue cible est recherchée : un substantif est traduit par un autre substantif, un adjectif par un adjectif, un verbe par un verbe, etc.

c) Au niveau du vocabulaire, le lexique est étroitement encadré : à un terme de la langue originale correspond presque toujours le même terme dans la langue cible quel que soit le contexte où celui-ci apparaît.

d) Les aspects du langage figuré tels que la métaphore, la comparaison, la métonymie, la synecdoque, la litote, l’hyperbole, l’euphémisme, etc., restent toujours proches de l’original.

e) Les expressions idiomatiques, dites aussi « expressions de la sagesse populaire », sont reproduites avec une littéralité maximale.

Les traductions qui suivent ces règles aident grandement ceux qui ne peuvent avoir accès au texte en langue originale et ceux qui veulent en approcher le contexte linguistico-culturel. Elles permettent de repérer les spécificités de vocabulaire, parfois de style, de goûter les images, de faire des recoupements avec d’autres passages, de deviner les différentes sources de rédaction. Néanmoins, une application trop rigoureuse se heurte à au moins trois limites (voir encadré) :

a) La radicalité du procédé : rendre un même mot du texte original par un même mot dans la langue cible est légitime pour des termes techniques ou quand le mot est employé avec la même acception. Pourtant, vu la variété des contextes, cela peut conduire à des ambiguïtés et des contresens.

b) L’impossibilité de reproduire les jeux phonétiques et sonores et donc la perte de certains effets.

c) Le risque de déformer le sens du texte original. D’où la nécessité des notes qui explicitent les choix de traduction, les variantes textuelles, les aspects linguistiques, historiques, théologiques ou rédactionnels.

Ces limites n’empêchent pas l’usage privilégié de l’« équivalence formelle » pour la plupart des traductions et des révisions. Bien des spécialistes, y compris dans l’A.B.U., soutiennent d’ailleurs que la forme du texte original possède un rôle ou une fonction pour exprimer et communiquer le contenu.


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Encadrés :

(Encadré 1) A.B.U. et A.B.F.

▪ L’Alliance biblique universelle (A.B.U.) ou United Bible Societies (U.B.S.) est née en 1946 de la fédération de diverses sociétés bibliques protestantes qui existaient depuis le xixe siècle.

Celles-ci diffusaient la Bible dans des éditions économiques, sans « apocryphes » (ou deutérocanoniques) et sans notes. En 1846, Pie IX les considérait comme « rusées » et « perverses » car leur action encourageait le « jugement privé » hors de « la tradition divine, la doctrine des Pères et l’autorité de l’Église catholique » (encyclique Qui pluribus sur les erreurs du temps) ; il les a condamnées dans le Syllabus (1869).

Au xxe siècle, le mouvement biblique dans l’Église catholique et surtout le mouvement œcuménique ont permis un dialogue plus confiant. Le secrétaire européen de l’A.B.U., le suisse Olivier Béguin (1914-1972), a œuvré sans relâche à l’ouverture interconfessionnelle, rencontrant régulièrement le Secrétariat pour la promotion de l’unité des chrétiens ; en France, il a soutenu le projet de la Traduction œcuménique de la Bible (T.O.B.) et engagé les sociétés bibliques dans son financement.

Parmi les fondements de l’A.B.U., il y a la conviction que la Parole de Dieu doit être mise à la disposition de tous, partout, dans des versions sans cesse améliorées. Dirigées par des laïcs, les sociétés bibliques ne dépendent pas des Églises mais se veulent à leur service. Un de leurs principes est que l’Écriture doit être diffusée sans notes ni commentaires afin de respecter le jugement personnel de chaque lecteur. Récemment, l’A.B.U. a réaffirmé « que les Saintes Écritures appartiennent à toutes les Églises et reconnaît que c’est à ces dernières qu’incombe l’interprétation doctrinale des Écritures » (2004).

▪ L’A.B.F. (Alliance biblique française) a été mise en place en 1947 par des sociétés bibliques qui, plus tard, en 1959, ont fusionné leurs activités commerciales dans la S.B.F. (Société biblique française). Sous la conduite du pasteur Marc Boegner, l’A.B.F. s’est élargie progressivement à la collaboration interconfessionnelle. Son implication dans l’aventure de la T.O.B., avec les Éditions du Cerf et l’A.O.R.B. (Association œcuménique pour la recherche biblique), en a constitué une étape importante. Elle fédère aujourd’hui les diverses sensibilités du christianisme – catholique, protestante, évangélique, orthodoxe. Elle se veut en phase avec la culture contemporaine (exposition « La Bible, patrimoine de l’humanité » en 2010, projet « Ze Bible » pour les jeunes en 2011).

La S.B.F., qui lui est liée, a conduit plusieurs chantiers de traduction ou de révision. Elle édite la Bible à la colombe (révision 1978 de la Bible Segond), la Nouvelle Bible Segond (2002) ainsi que la T.O.B. (1975, rév. 1988 et 2010), la Bible en français courant (1982, rév. 1997) et la Bible, Parole de Vie (2000), ces trois dernières étant interconfessionnelles.


(Encadré 2) Déclaration commune entre l’A.B.U. et la F.B.C. (octobre 2008)

« […] Dans Dei Verbum, l’Église catholique réaffirme son engagement à porter la Parole de Dieu au peuple de Dieu par le biais de l’Écriture sainte, et à faire en sorte que "l’accès à la Sainte Écriture soit largement ouvert aux chrétiens". Cet "accès largement ouvert" présuppose la diffusion de traductions de la Bible et requiert dans le même temps des outils et des aptitudes herméneutiques propres à dévoiler le sens de la Bible, permettant ainsi au message biblique de devenir Parole de Dieu. […]

Pour la F.B.C., chargée de défendre et de promouvoir la Bible au sein de l’Église catholique, l’encouragement de "l’étude, [de] la compréhension et [de] l’utilisation de la Bible au sein du clergé et du peuple catholiques" constitue l’un de ses objectifs majeurs. […] Au-delà de la coopération intra-catholique, "la coopération dans des domaines d’intérêt commun avec l’Alliance biblique universelle" est considérée comme un moyen efficace de réaliser cet objectif.

Pour l’Alliance biblique, le partenariat et la coopération avec les Églises et les diverses organisations chrétiennes constituent un aspect essentiel de son ministère. […] C’est pourquoi, le service que les sociétés bibliques offrent à l’Église catholique pourra désormais s’étendre à la mise à disposition d’éditions de la Bible présentant les livres dans l’ordre du canon biblique catholique, et comprenant des aides au lecteur facilitant la compréhension du sens du texte qui reflètent l’enseignement et la tradition de l’Église catholique. […]

En réaffirmant leur engagement à coopérer dans l’œuvre biblique, aussi bien la F.B.C. que l’A.B.U. rappellent à leurs membres la nécessité de développer ensemble, dans toute la mesure du possible, des programmes qui témoignent de notre désir de voir le message de l’Écriture sainte prendre vie et devenir pertinent pour la vie des fidèles, et qui interpellent les personnes se trouvant à l’extérieur de la communauté des croyants. »


(Encadré 3) Esprit et méthode de la T.O.B.

Tout a été fixé en juillet 1965 lors de la première session commune, les premiers chapitres de l’Exode et de l’épître aux Romains traduits et en partie annotés servant de base pour les échanges. Outre la répartition des responsabilités, la méthode de travail, qui s’approchait de l’« équivalence formelle », a été discutée et approuvée.

À chaque livre serait attaché un binôme catholique-protestant, l’un élaborant le « texte à détruire », puis les deux le retravaillant ensemble avant de l’envoyer à des coordinateurs qui vérifieraient le respect du protocole ; le texte serait alors revu puis transmis à tous les autres traducteurs ainsi qu’aux observateurs orthodoxes.

« On visera à une traduction aussi exacte et claire que possible. Cette fidélité doit être comprise au sens d’une fidélité exégétiquement fondée et non au sens littéral. On sera attentif à rendre les nuances du texte original ; on évitera cependant les paraphrases qui seraient trop éloignées de ce texte. » François Refoulé, « La Traduction œcuménique de la Bible (T.O.B.) », dans P.-M. Bogaert (éd.), Les Bibles en français. Histoire illustrée du Moyen Âge à nos jours, Brepols, 1991, p. 238.

Le choix de l’« équivalence formelle » n’a cependant pas été absolu. Dans l’Ancien Testament, le livre de Jérémie se caractérise plutôt par l’« équivalence fonctionnelle » (voir plus loin). Dans le Nouveau Testament, il y a eu quelques cas. Ainsi, la première demande du Notre Père (Mt 6,9) a-t-elle été traduite : « fais-toi reconnaître comme Dieu » (1972) puis : « fais connaître à tous qui tu es » (1988, 2010), une note précisant que la traduction littérale est : « que ton nom soit sanctifié ». La réaction de Marie à la demande de l’ange (Lc 1,34) a été rendue par : « comment cela se fera-t-il puisque je suis vierge ? » (1972) puis : « comment cela se fera-t-il puisque je n’ai pas de relations conjugales ? » (1988, 2010), la note donnant la traduction littérale : « puisque je ne connais pas d’homme ? »


(Encadré 4) D’une langue à l’autre, difficultés

Prenons le mot hébreu yam employé aussi bien pour désigner la « grande mer » (Nb 34,6, la Méditerranée) que le Nil (Is 19,5), l’Euphrate (Jr 51,36), le lac de Kinnéreth (Nb 34,11) ou la grande cuve d’airain du temple (1 R 7,23). Doit-on toujours le traduire par « mer » ?

Quelle équivalence trouver aux paronomases (rapprochements de sonorités) ? Par exemple, pour les noms de Juda (« qu’il [Dieu] soit loué »), de Dan (« un juge ») et de Gad (« bonheur »)… Amos 5,5 fait jouer le nom de lieu « Guilgal » avec la signification « entièrement déporté » (gâloh yiguelah). Matthieu 16,18 (« Tu es Pierre et sur cette pierre… ») joue du rapprochement entre Petros et petra, ce qui est transposable en français (Pierre/pierre) mais pas en anglais (Peter/rock).

Faut-il traduire littéralement des idiotismes, en particulier les sémitismes ? N’est-il pas étrange d’entendre des formules comme « vieux et rassasié de jours » (1 Ch 23,1), « je m’en suis tiré avec la peau de mes dents » (Jb 19,20), « haïr son père et sa mère » (Lc 14,26), « amasser des charbons ardents sur sa tête » (Rm 12,20), etc.

Comment rendre perceptible le « double-entendre » de certains mots grecs de l’évangile de Jean, tels anôthèn (« d’en haut », « à nouveau », Jn 3,3) ; pneuma (« vent », « souffle », « esprit », Jn 3,8 et Jn 19,30) ; paraklètos (« défenseur », « consolateur », Jn 14,16) ?




[1] Cet article couvrira deux numéros des Cahiers Évangile. Il complète utilement le C.E. n° 157 « Traduire la Bible en français » (sept. 2011) et l’article de H. Delhougne « Traduire la Bible pour la liturgie » (C.E. n° 167, mars 2014, pp. 62-69). Il est la version abrégée d’une communication du Pr P. Munteanu lors du colloque « Lire la Bible, écouter la Parole. Enjeux et expériences œcuméniques » (Institut catholique de Paris, avril 2014). Le texte intégral sera publié dans les actes du colloque (à paraître dans la collection « Théologie à l’Université », Éd. Desclée de Brouwer).

[2] Un des premiers exemples de collaboration entre protestants, catholiques et orthodoxes a été le projet de la Traduction œcuménique de la Bible (T.O.B.), lancé officiellement en janvier 1965 par un accord inédit entre les Éditions du Cerf (catholique) et la Société biblique française (protestante). Voir C.E. n° 154 (déc. 2010), pp. 61-62.

[3] http://www.vatican.va/roman_curia/pontifical_councils/chrstuni/general-docs/rc_pc_chrstuni_doc_19871116_guidelines-bible_fr.html

[4] Ont été mis sur pied : en Russie, un projet de traduction de la Bible dans le langage courant, avec publication du Nouveau Testament (N.T.) en 2001 et quelques fascicules de l’Ancien Testament ; en Bulgarie, la publication d’un N.T. en 2002 ; en Albanie, le projet Së Bashku (« Ensemble ») avec publication du N.T. en 2007 ; en Pologne, la publication d’un N.T. en 2001 ; en Roumanie, la publication d’un N.T. en 2008.

[5] Ch. Taber – E. Alb. Nida, La traduction, théorie et méthode, A.B.U., Londres, 1971. Dans les années 1960, Nida avait d’abord forgé l’expression : « équivalence dynamique ». À la fin des années 1970, pour clarifier un concept qui souligne que ce type de traduction se concentre avant tout sur le sens et la fonction du texte, il l’a remplacée par « équivalence fonctionnelle ».