Lié et descendu aveugle dans un cul-de-basse-fosse, Samson s’y retrouve tournant la meule comme un âne...
Lié et descendu aveugle dans un cul-de-basse-fosse, Samson s’y retrouve tournant la meule comme un âne. Mais pourquoi donc le narrateur mentionne-t-il alors que « les cheveux de sa tête commencèrent à repousser » (16,22) ? « Quelle est la portée de cette lapalissade ? Le constat n’est accompagné d’aucun commentaire. Est-ce là une intervention du narrateur qui signalerait, comme en passant, un retour en grâce et en force de Samson – la force d’origine divine étant bien magiquement contenue dans les cheveux ? Mais les cheveux qui repoussent n’ont plus rien de virginal, et c’était là, semble-t-il, le secret de leur pouvoir. Est-ce alors un clin d’œil de la part du narrateur : les cheveux repoussent, rien ne peut arrêter la nature ; le naturel de Samson (le mythe qu’il s’est construit autour de cette chevelure) reviendra-t-il au galop ? » (J.-P. Sonnet et A. Wénin, « La mort de Samson », p. 376-377). À moins, tout simplement, que cette banalité n’ait aucune portée si ce n’est justement comme banalité pour montrer que les cheveux ne sont rien et qu’il est dans leur nature de pousser.
Le lecteur est donc livré à des conjectures, mais un fait est indubitable : à aucun moment, il ne verra Samson se regarder dans un miroir et passer, avec un léger sourire en coin, sa main dans sa toison. Il n’entendra d’ailleurs même plus parler de cheveux (une seule occurrence en 16,22). Le temps est désormais à la célébration liturgique de la victoire philistine et Samson n’existe plus qu’à travers la perception et la volonté de ses geôliers : « notre ennemi » (16,23.24), « Qu’il nous divertisse […] et il se livra à des bouffonneries devant eux » (16,25). Lui qui a accompli tellement d’exploits glorieux est maintenant « agi » plus qu’il n’agit : « On le plaça entre les colonnes » (16,25 ; l’hébreu est cruellement plus explicite : « Ils le dressèrent entre les [choses] dressées » comme s’il devenait une colonne intermédiaire).
Est-ce à ce moment-là qu’il échafaude un plan ? Toujours est-il qu’il reprend la parole, exprimant au jeune homme qui lui sert de béquille un désir à la tonalité plus ou moins pro-active : « Guide-moi et fais-moi toucher les colonnes sur lesquelles repose le temple afin que je m’y appuie » (16,26). Cette parole ambiguë lui permet tout à la fois de choisir un endroit stratégique (« Place-moi près des colonnes qui servent de fondations ») et d’apparaître comme le déprimé qui, à peine debout, a déjà envie de se recoucher (« Laisse-moi tranquille, que je me repose ») ou pire, souhaite mourir.