Le règne de Salomon peut être divisé en deux volets qui s'opposent...

Mais il y a une autre structure dans cette section (1 R 1-11), provenant sans doute de la rédaction deutéronomiste. Elle est marquée par quatre paroles du Seigneur à Salomon : deux sont communiquées dans des visions (3,5-15 et 9,2-9) et les deux autres sans indication des circonstances (6,11-13 et 11,11-13). Il est remarquable qu'aucune ne soit transmise par un prophète. Quand le prophète Ahiya apparaît dans le récit en 11,29, on sait que le règne du roi sage est terminé !

On note sans peine une dégradation en passant d'un message à l'autre. En 3 et 6 on a des promesses. Si une condition est posée c'est seulement l'hypothèse favorable qui est citée : "Si tu suis mes chemins... si tu marches selon mes lois". Tandis qu'au ch. 9 on évoque surtout l'hypothèse défavorable : "Si vous vous détournez de moi" et ses conséquences catastrophiques. Enfin en  11,11 on passe à une condamnation sans appel : "Parte que tu n'as pas gardé mon alliance et mes lois... je vais t'arracher le royaume".

La séquence sur le temple sépare ainsi le règne de Salomon en deux volets qui s'opposent. Dans le premier tout est positif. Dans le second, si l'on détaille encore les grandeurs du règne (les plus ambiguës d'ailleurs), c'est pour en venir à ses faiblesses et finalement aux révoltes qui vont miner le royaume. Cette répartition est systématique, gardant pour la fin du règne les éléments négatifs qui ont dû exister depuis le début (ainsi la révolte de l'édomite Hadad, 11,14 -25). De même on ne cite de fautes de Salomon que dans sa vieillesse. C'est alors qu'il se laisse séduire par ses nombreuses épouses étrangères et se met à adorer leurs dieux (11, 1-3). C'est le signe que sa sagesse a disparu et sans elle tout s'écroule.

Le fait d'avoir 700 épouses et 300 concubines (11,3) a du être raconté au début comme une preuve de la grandeur de Salomon, comme ses immenses richesses, ses 1.400 chars et 12.000 chevaux (10,26). C'est justement ce que conteste le Deutéronome dans son code de conduite du roi (Dt 17, 16-17): "Que le roi) ne multiplie pas ses chevaux et qu'il ne ramène pas le peuple en Égypte pour multiplier ses chevaux - qu'il ne multiplie pas ses femmes pour que son cœur ne s'égare pas – que son argent et son or ne se multiplient pas trop" : c'est exactement le contraire de ce que fait Salomon. Il est possible que ce passage du Deutéronome ait été écrit en réaction à ce qu'on racontait du règne de Salomon, au vu des conséquences sociales désastreuses de sa politique. Si le rédacteur deutéronomiste de 1 R a connu Dt 17, il n'en a retenu que le deuxième élément : les femmes.

© Pierre Buis, SBEV / Éd du Cerf, Cahier Évangile n° 86 (Mars 1994), « Le livre des Rois » p. 10-11.