Le terme "Apocalypse" est la transcription du mot grec "apokalypsis" qui ouvre l'Apocalypse de Jean, et qui signifie « révélation »...

Le terme "Apocalypse" est la transcription du mot grec apokalypsis qui ouvre l'Apocalypse de Jean, et qui signifie « révélation ». Ce substantif est employé 18 fois dans le Nouveau Testament et le verbe apokalyptein, « ré-véler, lever le voile », 26 fois. Dans l'expression « littérature apocalyptique », le terme a pris un sens technique et désigne les compositions littéraires qui ressemblent à l'Apocalypse de Jean : ce sont des écrits juifs ou chrétiens apparus, pour la plupart d'entre eux, autour de l'ère chrétienne (IIe s. avant – IIe s. après J.C.). Proposer une définition de l'apocalyptique, c'est prendre en compte une triple réalité: I'apocalyptique est à la fois un genre littéraire (c'est-à-dire des textes), un mouvement social (des groupes humains porteurs de ces textes) et une compréhension du monde et de la réalité (une idéologie en quelque sorte).

Partons d'une définition qui résulte d'un examen systématique de textes juifs, chrétiens, gnostiques, grecs, latins et perses traditionnellement identifiés comme des apocalypses. « Une apocalypse est un genre de littérature de révélation qui, dans un cadre narratif, présente une révélation transmise par un être céleste à un destinataire humain et qui dévoile une réalité transcendante à la fois d'ordre temporel; dans la mesure où elle concerne le salut eschatologique, et d'ordre spatial, pour autant qu'elle implique un autre monde, ie monde surnaturel. [Une telle révélation] a pour but d'interpréter les circonstances présentes et terrestres à la lumière du monde surnaturel et de l'avenir, et d'influencer à la fois la compréhension et le comportement des destinataires par le moyen de l'autorité divine » (J.J. Collins).

Complétons notre enquête en nous référant au travail d'un spécialiste de l'Apocalypse de Jean, Pierre Prigent. Il propose de prendre en compte, non seulement les critères formels, mais également la compréhension du monde caractéristique de cette littérature; ce qui fournit les cinq critères suivants.

Pseudonymie. Les écrits apocalyptiques se réclament d'un grand personnage du passé (Moïse, les patriarches, Hénoch, Esdras, Baruch, etc.). La pseudonymie relève d'un besoin d'autorité: en une époque où les prophètes ont disparu et où, pour beaucoup, Dieu se tait, il est nécessaire que l'écrit apocalyptique remonte à un personnage ancien, dont l'autorité ne pourra être contestée. Enfin, ce patronage prestigieux permettra à l'apocalypticien de résoudre le problème des prédictions: I'auteur pourra ainsi, de manière fictive, remonter toute l'histoire d’Israël depuis l'époque du personnage historique auquel il attribue son œuvre et montrer ainsi tout le déroulement du plan de Dieu sous la forme d'une révélation des événements à venir. « En prétendant à l'autorité des anciens inspirés, l’apocalyptique est simplement fidèle à l'un de ses articles de foi: le plan de Dieu est arrêté dès les origines. Dieu n'a pas pu ne pas le révéler à ses plus fidèles serviteurs. Ceux-ci l'ont reçu sans toujours le comprendre et sans avoir le droit de le divulguer. Mais ce silence obligé et cette incompréhension garantissaient que la prophétie serait conservée intacte jusqu'au jour où un ordre divin en commanderait la divulgation, le moment étant venu » (P. Prigent)

Ésotérisme et symbolisme. L'écrivain d'apocalypse est censé divulguer des secrets autrefois confiés par Dieu à des ancêtres célèbres. Ces secrets sont maintenant dévoilés parce que la fin est proche. Mais cette révélation est réservée à des initiés. Il s'agit d'un langage codé qui recourt largement à la symbolique des nombres et des couleurs, aux représentations mythologiques et aux comparaisons historiques. Ce langage dont seuls les élus peuvent (avec l'aide de l'Esprit de Dieu ou d'un ange interprète) comprendre les images, doit rester naturellement obscur et incompréhensible pour « ceux du dehors » étrangers au peuple élu ou ennemis. Il permet entre autres choses, de fustiger et d'accuser lé tyran persécuteur, représenté sous diverses figures symboliques. Le langage symbolique disqualifie toute lecture littérale d'une apocalypse.

Supranaturalisme. Du fait des révélations qu'elle transmet, de leur origine, de leur signification et de leur portée, la littérature apocalyptique s'intéresse à un autre monde, au-delà de cette réalité. Deux mondes s'affrontent et vont se succéder: le monde actuel, « I'éon » présent (du grec aiôn, âge, monde) au pouvoir du mal, et le monde à venir, « l'éon » futur qui appartient à Dieu et qui vient de lui. Le visionnaire est d'ailleurs souvent entraîné dans un voyage dans l'au-delà où il contemple par avance la victoire finale et où il assiste aux scènes célestes.

Dualisme et pessimisme. L'apocalyptique propose une vision dualiste et pessimiste du monde présent. Celui-ci est le lieu d'un combat entre les forces du mal qui dominent sur l'humanité et les forces de Dieu qui seront un jour victorieuses. Dans la description de ce combat, la littérature apocalyptique fait une place importante aux anges et aux démons: leur lutte dans le monde céleste a des implications dans l'histoire des hommes. L'homme est ainsi concerné par un combat qui le dépasse, dont il n'est pas maître et dans lequel il manifeste, par son attitude, I'appartenance au camp des justes ou à celui des impies. La vision est pessimiste en ce sens que le monde actuel ne va pas vers le bonheur mais vers la destruction. Le monde actuel est sous le jugement de Dieu. Mais ce pessimisme sur l'avenir du monde actuel se double d'une espérance en la victoire de Dieu qui établira le monde nouveau que le visionnaire contemple déjà en esprit.

Déterminisme. Les apocalypses manifestent une vision déterministe de l'histoire. Tout est fixé d'avance depuis les origines et va inexorablement vers son achèvement : « Le monde et son histoire sont régis par un plan que Dieu arrêta dès l'origine. Ils marchent donc inexorablement vers l'achèvement prévu. Il n'y a pas de hasard, non plus que de liberté, même pour les persécuteurs: tout est écrit dans les livres célestes. Ceux à qui ce plan est révélé peuvent donc comprendre et faire comprendre jusque dans le détail, ce qui est arrivé, ce qui arrive et ce qui arrivera. L'apocalypticien croit à un strict déterminisme: Dieu a donné des jours pour toutes choses (1 Hénoch 92,2) et rien ne pourra troubler cette volonté arrêtée (4 Esdras 4,37) » (3). On discerne ici une différence importante avec la prophétie de l'A.T., dont l'apocalyptique est d'une certaine manière le prolongement. Pour le prophète l'annonce du jugement est toujours en vue d'un changement du peuple qui pourra justement éviter le jugement. Certes, Dieu avait un plan pour le monde, mais la place était faite au dialogue et au repentir, et l'histoire recevait son sens de cette responsabilité humaine devant la Parole de Dieu.

 

© Élian Cuvillier, SBEV / Éd du Cerf, Cahier Évangile n° 110 (Décembre 1999), « Les apocalypses du Nouveau Testament », p. 6-8.