Quel effet a pu faire ce livre des Rois sur ses premiers lecteurs, et quelles leçons peut-on en tirer aujourd'hui ?

Nous avons trouvé de nombreux messages dans les pages de ce livre. Peut-on maintenant définir ce qui serait le message essentiel, la leçon à retenir en priorité ? Plus concrètement, quel effet a pu faire ce livre sur ses premiers lecteurs ?

Deux lectures globales étaient possibles, l'une pessimiste, l'autre optimiste.

Pessimiste : le système étatique institué par David n'a assuré au peuple d’Israël ni la possession tranquille de son sol, ni la fidélité à l'alliance. Celle-ci est rompue et les promesses aux anciens sont annulées. Dieu avait accordé plusieurs essais aux deux royaumes; le bilan est négatif. Il est clair que le peuple de Dieu ne peut pas être une nation comme les autres.

Optimiste : malgré sa fin dramatique, cette histoire a connu de beaux moments, des heures glorieuses, des redressements inespérés. Israël a pris sa place dans le monde et dans l'histoire. La plupart des promesses se sont réalisées pendant un temps notable. Et tout n'est pas perdu : les guerres et les déportations n'ont pas été un génocide. Bien que dispersé, le peuple existe toujours. Et il a encore un chef: Joyakin, un descendant de David, est encore reconnu comme roi par les babyloniens (2R 25, 27-30) et sa descendance est assurée. L'épreuve même est un signe que le Seigneur ne s'est pas retiré de l'histoire : il y est toujours actif.

La première lecture pourrait mener au désespoir, à une résignation stérile. Mais elle peut aussi inviter le lecteur à reconnaitre ses infidélités et à changer de vie. C'est en tout cas, ce à quoi appelle la deuxième lecture. Il n'y aura pas d'avenir sans une conversion profonde de tout le peuple. Il faut noter que cette conclusion n'est pas exprimée dans le livre (sauf en 1 R 8,46-51), peut être parce qu'elle va de soi.

À partir de là, on peut imaginer l'avenir sous plusieurs formes :

1. Il n'y aura pas d'avenir : Israël a fini de jouer son rôle.

2. Il y aura un avenir pour le peuple, mais il est inutile d'essayer de l'imaginer et de le programmer. Il faut simplement faire confiance au Seigneur (c'est à peu près la conclusion de Lv 26,4245).

3. Le peuple de Dieu continuera à exister mais sous une forme très différente, peut-être même sans état ni territoire national, sans temple ni culte. C'est ce que vivront ceux qui choisiront de rester en diaspora.

4. Dieu rétablira le royaume de David, mais avec des institutions corrigées et un peuple renouvelé à qui sera donné "un cœur nouveau". On peut déjà en donner le programme comme le font Ézéchiel (Ez 34-48) et, dans un autre sens, la deuxième partie du livre d'Isaïe (Is 40-66).

Y a-t-il une lecture chrétienne possible ? Oui, si on lit ce livre comme une partie de la Bible, dans la perspective globale de l'histoire du salut. Il montre que le déroulement de cette histoire n'est pas simple, qu'il comporte des fausses pistes, des impasses dont on ne peut sortir que par des ruptures brutales et douloureuses.

Au long de l'histoire de l'Église, on a souvent été tenté de voir dans le livre des Rois des modèles de société, alors qu'il les critique tous, en montrant qu'ils ont abouti à un échec. On s'est aussi attaché aux personnages dont il raconte l'histoire, mais les portraits qu'il en donne sont trop schématiques et conventionnels pour fournir des modèles. C'est seulement par les renseignements et réflexions qu'on a dégagés dans la deuxième partie de ce Cahier, que le livre peut être parlant pour les hommes d'aujourd'hui. On retiendra spécialement son côté critique, qui combat une conception simpliste de la rétribution, qui désacralise les institutions. Le plus intéressant reste l'herméneutique de l'histoire qu'il met en œuvre, laquelle peut encore nous aider à reconnaître l’action de Dieu au cœur de l'histoire qui se construit autour de nous et par nous.

© Pierre Buis, SBEV / Éd du Cerf, Cahier Évangile n° 86 (Mars 1994), « Le livre des Rois » p. 60-61.