Dans la foi, Israël doit s’orienter vers le Dieu qui fait alliance : Yhwh

Et maintenant, Israël, qu’est-ce que YHWH ton Dieu attend de toi ? Il attend seulement que tu craignes YHWH ton Dieu en suivant tous ses chemins, en aimant et en servant YHWH ton Dieu de tout ton cœur, de tout ton être, en gardant les commandements de YHWH et les lois que je te donne aujourd’hui, pour ton bonheur. (10, 12-13)

Israël est interpellé. Le peuple des douze tribus, à l’union politique encore bien lâche en ces temps qui suivaient la prise du pays, trouvait son unité dans la foi. Alliance était proclamée par YHWH avec le peuple des douze tribus. Mais Israël ne pouvait être interpellé qu’à l’occasion des fêtes de pèlerinage, lorsque des représentants de toutes les tribus se rencontraient auprès d’un sanctuaire pour des célébrations cultuelles. Dans le culte de l’alliance, Israël devient réalité. Là, dans cet aujourd’hui cultuel qui annule le temps, lui sont annoncées les anciennes exigences de l’alliance avec YHWH. Pour de telles fêtes, Israël se rassemble et demande bénédiction. Il cherche ce qui est bon, ce qui est " bonheur ". Il sait ce qui est bonheur pour lui. Le lecteur pourra le lui rappeler par une question. Écouter, observer les exigences de YHWH. Obéissance est exigée. Celle-ci est simple. Elle n’est pas attention portée sur toutes les prescriptions, du moins pas en premier lieu : il ne s’agit que d’une seule chose ; laquelle donc ?

Craindre YHWH
Le texte donne un premier énoncé : " Craindre YHWH ton Dieu ". Les deux parties de cette formulation sont importantes. Crainte de YHWH qualifie, dans l’ancien Orient, ce que nous désignons habituellement par " foi " ou " religion ". Elle est orientation de l’être sur le mystère divin. Crainte ne s’oppose pas à amour, la suite de la phrase le montre. Crainte inclut amour, désigne la situation devant Dieu. Pour nommer cet état embrassant toute l’existence, on a choisi ce mot : l’oriental savait bien mieux que nous, combien grand et étranger à nous est le mystère divin. Il savait que Dieu, lorsque l’homme en fait l’expérience, apparaît toujours comme l’Autre ; devant lui l’homme prend peur. La crainte de Dieu ne doit cependant pas en Israël se diriger sur le divin de façon vague, ni sur les nombreux dieux auxquels on croyait alors, mais sur l’unique Dieu. Son nom est YHWH, il est " Dieu d’Israël ". Voilà qui renvoie à une pensée dominée par l’alliance. L’alliance avec Dieu se laisse dire en la courte formule : qu’Israël devienne peuple de YHWH et YHWH sera Dieu d’Israël. Dans la foi, Israël doit s’orienter vers le Dieu qui fait alliance, YHWH. C’est tout ce que Dieu exige de lui.

En une seconde série d’énoncés est développé ce que signifie la crainte de YHWH. Il s’agit de suivre ses voies. La route est un symbole primitif de l’existence humaine. L’homme parcourt un chemin. Il s’agit de prendre le bon. Pour Israël, c’est le chemin de YHWH. Mieux, toutes les voies sont siennes. Nombreuses sont les possibilités du salut, car l’appel de Dieu n’est pas uniforme. Pour chaque situation, il y a un chemin particulier. Qu’Israël suive donc la voie de YHWH. Il aimera Dieu alors. Cet amour n’est pas sentiment, mais fidélité et don. Dans le milieu politique où s’origine la pensée de l’alliance, le mot amour pouvait être utilisé pour qualifier les relations de vassalité du roitelet à l’égard du roi. Le contrat demandait d’aimer son suzerain ; en ses lettres, le vassal assurait ce dernier de son amour. YHWH de même demande à son peuple vassal, Israël, de l’aimer.

L’amour devient service. Ces termes datent, eux aussi de l’ère politique de la vassalité. S’agissant de Dieu, s’y associe immédiatement l’idée d’un service divin, cultuel. En lui s’exprime l’amour d’Israël pour son Dieu. Le service qu’Israël doit à YHWH n’est pas seulement extérieur, il est rendu " de tout (son) cœur, de tout (son) être ". Cette expression aussi, connue par les contrats politiques et la correspondance diplomatique, est reportée ici dans le domaine religieux. Voilà qu’est explicité ce que signifie pour Israël, craindre son Dieu.

Cette seule et unique exigence de YHWH, on ne peut la remplir que si l’on est disposé à " garder les commandements de YHWH et les lois ". L’unique commandement engendre beaucoup de préceptes. Et par ailleurs, les nombreux préceptes ne servent que l’unique commandement : garder Israël dans la crainte de YHWH.

Oui, à YHWH ton Dieu appartiennent les cieux et les cieux des cieux, la terre et tout ce qui s’y trouve. Or c’est à tes pères seulement que YHWH s’est attaché pour les aimer; et après eux, c’est leur descendance, c’est-à-dire vous, qu’il a choisis entre tous les peuples comme on le constate aujourd’hui. (10,14-15)
Après la loi, la motivation. Dieu est toujours premier. S’il demande quelque chose à l’homme, c’est qu’auparavant déjà, il l’avait gratifié. D’abord, il le sauve ; ensuite, il demande et, au fond, il ne demande rien du tout, si ce n’est de rester sous la mouvance de ce salut. La grâce porte chaque commandement. L’exigence de Dieu peut toujours être motivée, car elle renvoie à son agir prévenant. Ainsi en est-il dans notre texte du grand commandement. Ces motivations suivent, nous l’avons déjà noté, le déroulement de l’histoire du salut. En 10, 14, elles commencent par l’amour de Dieu à l’égard des patriarches. Dieu demande l’amour d’Israël, parce qu’il avait déjà aimé ses ancêtres.

Alors que l’amour demandé à Israël visait davantage l’obéissance que le sentiment – l’exigence de Dieu était donc formulée en termes plus voilés – ici où l’on parle de l’amour de Dieu pour les ancêtres d’Israël, une autre expression est ajoutée. Elle désigne le sentiment, l’intimité, l’attachement : " YHWH s’est attaché à tes pères ". On voudrait presque parler d’un Dieu amoureux. Et ceci advint longtemps avant qu’Israël ne fût appelé à rendre cet amour.


© Norbert Lohfink, SBEV / Éd. du Cerf, Cahier Évangile n° 140 (juin 2007), ""Écoute, Israël”, commentaires du Deutéronome",  p. 14-16.