Un regard attentif montre la connivence qui existe entre traduction et communauté de lecture...

Un regard attentif montre, tout au long de la longue première période que nous venons de parcourir, la connivence qui existe entre traduction et communauté de lecture : en fait la Bible n’existe que traduite et commentée, portée par les communautés de croyants qu’elle configure.

Autrefois
Juive, la Bible est hébraïque et grecque. Rapatriée sur l’hébreu, elle a besoin du targoum araméen pour une communauté certes disséminée mais orientée sur et par la Torah.

Chrétienne, elle est grecque. En Orient, elle demeure grecque par-delà les traductions en langues vernaculaires. En Occident, elle garde, sous les langues régionales – et le latin l’a été longtemps –, les traces de ses origines hébraïque et grecque. Bien sûr, Luther refait le geste de Jérôme en faveur de la veritas hebraica, mais la signification a changé.

Jérôme s’inscrivait, malgré tout, dans la tradition d’interprétation de l’Église (où la Septante avait joué son rôle). Luther rompt (en partie) avec elle. Dans l’aire protestante, la remontée aux sources, l’accès libre au texte biblique – avec son amont grec et hébreu et son aval dans les langues « vulgaires » –, exaltent la primauté de la Parole de Dieu sur toutes les institutions et inaugurent de nouveaux chemins vers le Christ 

Au lendemain du concile de Trente, la place donnée à la Vulgate cristallise l’image que l’Église catholique a d’elle-même. D’abord, voilà un texte qui porte effectivement les Écritures saintes et leur pouvoir d’action. Ensuite, il vient d’une tradition multiséculaire. Puis, le latin, langue ecclésiastique, diplomatique et culturelle, unifie sa réception. Enfin, nul ne peut le comprendre en vérité s’il n’est guidé par le Magistère (le pape et les évêques, successeurs des apôtres).

Aujourd’hui
La Bible demeure reliée à des communautés de croyants, par ailleurs fort diverses.

Communauté confessionnelle modifiée de l’intérieur, telle est l’Église catholique lors du concile Vatican II. Dans la constitution Dei Verbum (1965), elle reprend une discussion du concile de Trente et affirme théologiquement la primauté de la Parole de Dieu sur l’ensemble Tradition sacrée, Écriture sainte et Magistère (chap. 2, n° 7-10). Plus loin, la notion de Tradition est déplacée de façon pastorale et œcuménique : « Il faut que l’accès à la Sainte Écriture soit largement ouvert aux fidèles du Christ. Pour cette raison l’Église, dès le commencement, a fait sienne cette antique version grecque de l’Ancien Testament, appelée des Septante ; elle tient toujours en honneur les autres versions, orientales et latines, principalement celle qu’on nomme la Vulgate » (chap. 6, n° 22). Qu’observe-ton ? La Vulgate est décentrée et, avec elle, l’Église catholique romaine. La Septante est citée en premier : la Bible grecque du peuple juif, reçue comme Écriture sainte, précède la Bible latine, laquelle n’est qu’une version, certes éminente, parmi d’autres, occidentales et orientales. 

Communauté de conviction qui franchit les frontières ecclésiales, tel apparaît le mouvement œcuménique. Né au début du XXe siècle, il accompagne l’histoire des Églises historiques. Il a donné naissance en France au début 1965 au projet de la TOB (Traduction œcuménique de la Bible). Menés par le P. François Refoulé, catholique, et le pasteur Georges Casalis, protestant, plus de cent collaborateurs vont œuvrer dix ans. Par la suite, « la TOB a souvent été au cœur de toutes les rencontres œcuméniques : groupes bibliques, groupes de foyer mixtes, etc. La découverte de la Bible allait de pair avec la découverte de l’autre » (Bernard Coyault, L’Aventure de la TOB, p. 140). Conséquence : la TOB est devenue un outil de référence non seulement dans le monde religieux mais aussi dans les milieux universitaires où la Bible est étudiée de façon non confessionnelle. 

Enfin on voit aujourd’hui s’opérer, en France, en Europe, une mutation culturelle importante, une sorte de nomadisme de gens en quête de textes de référence, de lieux où entendre une parole vive. Communauté – le terme convient-il ? – mouvante, floue, indécise. La Bible y est déjà entraînée en transhumance. Pourra-t-elle lui donner forme ? Alors que l’on déplore la multiplication des sectes, il importe de dire que notre époque redécouvre la Bible comme livre fondateur, même si ce regain d’intérêt se vit hors de toute appartenance ecclésiale. Des traductions de la Bible tentent aussi de répondre à ce défi.
 

© Jacques Nieuviarts et Gérard Billon, SBEV / Éd. du Cerf, Cahier Évangile n° 157 (septembre 2011), "Traduire la Bible en français", p. 21-23.