Les historiens émettent des doutes sur l'historicité de la plupart des actions fomentées contre Paul par les Juifs...

Les faits rapportés par Luc

Les historiens émettent des doutes sur l'historicité de la plupart des actions fomentées contre Paul par les Juifs. Aux principales étapes de la mission, Luc répète un refrain conventionnel: Paul proclame l'Évangile dans la synagogue avec un certain succès; des prosélytes (ou des « craignant Dieu ») accueillent son message; alors les Juifs, furieux, lui causent des ennuis en le calomniant auprès des foules et / ou des autorités locales. Une telle répétition, par son caractère schématique, inspire la méfiance. De plus, Luc fait de Paul le parfait imitateur du Christ en sa passion: son dernier voyage vers Jérusalem (comme celui de Jésus en Lc) est une montée vers une issue fatale dont les Juifs ont l'initiative; ils le dénoncent aux Romains pour que ceux-ci le condamnent à mort.

Luc ménage ainsi une gradation `certaine dans l'hostilité des Juifs envers Paul. Tout commence en Ac 13 par le vocabulaire de 1'« opposition » (mots composés avec les prépositions anti et kata = contre), opposition qui se traduit par des « injures », puis par des tentatives pour soulever les foules ou alerter les autorités officielles. À Lystre, il est lapidé et laissé pour mort. L'hystérie collective atteint son paroxysme à Jérusalem, où « la ville entière est en ébullition » et où la foule va jusqu'à pousser des hurlements (22,23); il s'en faut de peu que Paul soit lynché par la populace déchaînée. Ce crescendo est évidemment un procédé narratif de Luc.

Ceci dit, tout en reconnaissant les talents de metteur en scène du rédacteur des Actes, on ne peut lui attribuer à lui seul, à son apologétique et à son sens de la dramatisation, toutes les épreuves infligées à Paul par ses coreligionnaires. Luc généralise et amplifie des informations qu'il trouve dans ses sources. Si l'on tient compte des travaux de l'équipe qui, à l'École Biblique de Jérusalem, s'est livrée à des analyses minutieuses, l'opposition des Juifs à Paul est un des éléments importants du récit lucanien le plus ancien, à partir duquel les Actes des Apôtres ont reçu leur forme actuelle. Ainsi en va-t-il des plus anciens récits de la mission à Antioche de Pisidie, à Iconium, à Thessalonique, à Bérée, à Corinthe, de l'arrestation au Temple de Jérusalem, des comparutions devant le Sanhédrin et devant le gouverneur à Césarée. Le souvenir de certains de ces incidents a été conservé par la tradition paulinienne comme en témoigne 2 Tm 3, 1 0-11: Paul rappelle « les persécutions, les souffrances que j'ai connues à Antioche, à Iconium, à Lystre ».

Les réactions de Paul

J.-CI. Lenz (1) a bien montré que Luc a voulu donner de Paul l'image de « l'homme vertueux par excellence », capable de susciter l'admiration des meilleurs citoyens de l'empire. Maintes scènes sont l'occasion d'en faire un champion dans la pratique des quatre vertus cardinales: prudence, courage, justice et maîtrise de soi. Dans les cas énumérés ci-dessus, il fait preuve d'un grand courage. Il est juste, quand il refuse d'être frappé sur la bouche alors qu'il dit la vérité. Son calme, ses silences, ses décisions qui n'enveniment jamais les conflits témoignent de sa maîtrise de lui-même, fruit de son adhésion au Christ qui lui a prédit ses difficultés avec les Juifs. Ce portrait est-il une pure construction de Luc, ou trouve-t-il des appuis dans les lettres de Paul ?

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© Michel Trimaille, SBEV / Éd du Cerf, Cahier Évangile n° 108 (Juin 1999), « Le Nouveau Testament est-il anti-juif ? », p. 48-49.

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(1) J.-C. Lenz, Le portrait de Paul selon Luc dans les Actes des apôtres, Lectio Divina, Cerf, Paris, 1998, p. 172.