Il nous faut réapprendre à lire : redécouvrir une lecture prolongée, paisible, gratuite, faite avec attention et disponibilité...
Si à certaines époques, la difficulté résidait dans la capacité même de la lecture, elle est aujourd’hui chez nous souvent inverse. Nous lisons tellement que nous avons mis au point des mécanismes pour rentabiliser nos lectures : lecture rapide, voire « en diagonale », superficielle et distraite, qui cherche à grappiller quelques renseignements et ne sollicite que peu la mémoire. Aussi nous faut-il réapprendre à lire : redécouvrir une lecture prolongée, paisible, gratuite, faite avec attention et disponibilité. C’est cette qualité de lecture qui est requise pour accueillir la Parole de Dieu.
Cette condition est nécessaire, mais non suffisante. En effet toute lecture, même attentive, du texte biblique n’est pas une lectio au sens spirituel du terme. Il faut également comprendre qu’en lisant, nous ne cherchons pas d’abord des connaissances ni des informations, mais nous guettons une voix. La lectio divina consiste à découvrir dans le texte celui qui nous parle.
Pour le faire comprendre, saint Césaire comparait les Saintes Écritures à des « lettres d’invitation » envoyées du Paradis par le Christ et transmises par les écrivains sacrés (cf. Sermon VII, 2). Nous pouvons déployer cette image en examinant comment nous lisons, et avec quelle attention, les différentes lettres que nous recevons. S’il s’agit par exemple d’une facture, on ouvrira peut-être distraitement l’enveloppe et, sans prendre le temps de se poser, on recueillera directement l’information intéressante ; il est rare, surtout s’il n’y a pas de surprise, que l’on s’attarde à lire tous les éléments de ce courrier avant de le classer. À l’inverse, lorsque nous trouvons dans le courrier la lettre d’un être cher, de quelqu’un dont nous attendons impatiemment des nouvelles, alors nous procédons tout autrement. Nous nous mettons dans des conditions favorables et nous lisons avec intérêt et attention le contenu de la lettre. Nous en relirons peut-être plusieurs fois le texte pour mieux entrer dans la pensée et les intentions de son auteur. Au-delà même du contenu, cette lecture attentive cherchera à entendre derrière les mots du texte les intonations de la voix de celui qui s’exprime.
L’image de la lettre pourra nous aider à vérifier la qualité de notre lecture. Elle ne reste cependant qu’une image qu’il faut compléter. En effet une lettre compense l’absence de son rédacteur, tandis que la lectio nous invite à découvrir dans la lettre des Écritures la voix de celui qui est présent. Les Pères de l’Église avaient alors comparé cette lecture avec l’attention de la bien-aimée du Cantique des cantiques à la voix de son bien-aimé qu’elle entend, avant même que celui-ci montre son visage (cf. Ct 2,8-10).
© Christophe de Dreuille, Cahier Évangile n° 164, Lectio divina. Un chemin pour prier la Parole de Dieu, p. 28.