Le terme " heure " est employé vingt-six fois dans le Quatrième évangile...

Le terme " heure " est employé vingt-six fois dans le Quatrième évangile. Il exprime quelquefois l’heure que l’on peut mesurer chronologiquement : ainsi il y a douze heures dans la journée (11,9) ; les premiers disciples rencontrent Jésus à la dixième heure (1,39), la Samaritaine va puiser de l’eau à la sixième heure (4,6), le fils du fonctionnaire royal est guéri à la septième heure (4,52), etc. Les dimensions symbolique ou métaphorique de ces références ne sont pas absentes, mais l’usage premier reste celui d’un horaire de la journée.

L’Heure

Cependant, l’évangéliste utilise le plus souvent le mot " heure " pour indiquer un temps qu’une horloge ne pourrait pas mesurer. La plupart des traductions l’écrivent alors avec une majuscule. Cette Heure fait référence au moment de l’accomplissement du projet de salut de Dieu et, pour le Quatrième évangile, ce temps de Dieu se réalise à la crucifixion. C’est l’Heure du retour de Jésus vers le Père (13,1), donc celui de l’élévation (3,14 ; 12,32-33).

Dans le Livre des signes, ce terme apparaît déjà aux noces de Cana, quand Jésus dit à sa mère que son Heure n’est pas encore arrivée (2,4). Bien des éléments de ce texte (Jn 2,1-12) préparent le moment " crucial " où l’Heure sera là, l’heure paradoxale de la gloire sur la croix (Jn 19,25-27.34). Dans les deux épisodes, La mère de Jésus est présente, et nous pouvons rapprocher l’eau transformée en vin du sang et de l’eau qui sortent du côté du crucifié. Cela nous aide à comprendre la croix comme l’Heure où le sang versé est le bon vin donné en abondance.

Alors que Jésus est à Jérusalem, on ne réussit pas à l’arrêter, tant que son Heure n’est pas encore arrivée (7,30, voir aussi 8,20). Mais quand les Grecs demandent à Philippe de voir Jésus, celui-ci répond que l’Heure est là (12,23), qu’il veut la vivre, car il est venu pour cette Heure (12,27).

Dans le discours après la Cène, cependant, l’Heure ne fait pas seulement référence à la mort de Jésus sur la croix mais aux persécutions que subiront les disciples et à leur mort (16,2.4). Elle est mise en relation avec l’enfantement et permet de parler de la mort sur la croix comme d’un accouchement douloureux précédent la joie de la naissance (16,21). Elle est le temps où Jésus ne parlera plus du Père à ses disciples par comparaisons, mais ouvertement. Elle est malheureusement marquée par l’abandon des disciples (16,32). Toutefois, Jésus ne sera pas seul. Le Père est avec lui. Jésus prie donc son Père en reconnaissant que l’Heure est venue (17,1). C’est finalement à partir de cette Heure (dans les deux sens du terme) que le Disciple aimé reçoit la mère de Jésus comme sa propre mère (19,27).

La gloire

On peut également donner à la deuxième partie de l’évangile le titre de " Livre de la gloire ", car l’Heure est le moment de la " glorification " (12,23).

Dans la Bible, la gloire est un attribut de Dieu. Elle se manifeste dans la nuée, le feu et la lumière (Ex 24,15-16 ; Ez 1,28). Elle remplit la terre (Is 6,3 ; Ps 108,2) et se trouve associée avec la sainteté et les œuvres du Seigneur (Ex 14,21-22 ; Is 6,3 ; Ps 19,2) qui rend justice et donne le salut (Ez 39,21 ; Ps 79,9).

Le terme " gloire " et le verbe " glorifier " sont employés plus d’une trentaine de fois dans le Quatrième évangile. Celui-ci affirme, dès le Prologue, que la gloire de Dieu est visible dans le Logos incarné (Jn 1,14). C’est donc bien de Dieu et non des hommes que Jésus reçoit la gloire. Il l’affirme lui-même (5,41) et accuse ses interlocuteurs de rechercher une gloire humaine au lieu de recevoir celle de Dieu (5,44).

La gloire de Dieu n’est pas une question de solennité, d’honneurs et d’admiration. La gloire vient de Dieu lui-même, et elle se communique par son amour. Ainsi l’amour du Père pour le Fils attribue à ce dernier la gloire du Père (Jn 17,24). Quand, dans sa prière, Jésus demande au Père de le glorifier, il parle aussi de glorifier le Père (17,1.4.5) et témoigne de cette façon d’un don réciproque ou amour mutuel. Mais l’amour du Père et du Fils ne les replie pas sur eux-mêmes, il se traduit par le don de la gloire aux disciples de telle façon que ceux-ci pourront entrer dans l’amour et la communion du Père et du Fils (17,22).

Par le signe de Cana, Jésus manifeste sa gloire et amène les disciples à croire en lui (Jn 2,11). Mais le vin abondant des noces oriente le lecteur vers la croix où s’exprime la plénitude de l’amour manifesté par Jésus aux siens (Jn 13,1) et se révèle comme le lieu de la glorification. La mort au Golgotha n’est donc pas un échec. De fait, au moment où Judas sort pour aller livrer son maître, Jésus ne parle pas de malheur, mais de gloire : " Maintenant, le Fils de l'homme est glorifié, et Dieu est glorifié en lui ; si Dieu est glorifié en lui, Dieu en retour lui donnera sa propre gloire " (Jn 13,31-32).

L’évangile se termine sur les bords du lac de Galilée (Jn 21), mais cet épisode ne met pas un point final à la Bonne Nouvelle. Le Ressuscité, en effet, indique à Pierre qu’il pourra à son tour glorifier Dieu. Il l’invite par un solennel " Suis-moi " (Jn 21,19) à marcher sur ses traces jusqu’à la mort que le disciple pourra vivre comme glorification.



© Bernadette Escaffre, SBEV / Éd. du Cerf,Cahier Évangile n° 146 (décembre 2008) "Évangile de J.-C. selon St Jean. 2 – Le Livre de l’Heure (Jn 13–21)", pages 4-6.