L'évangile selon Matthieu comprend six parties qui développent le thème fondamental de l'ensemble, à savoir l'être-avec-nous de Dieu en Jésus...

Toute tentative de plan a sa part d'arbitraire, car elle vise à scinder et à systématiser une histoire singulière et irréductible. Pourtant, une fois cette limite reconnue, tenter de repérer l'organisation du récit peut être fructueux dans la mesure où cela permet d'en faire voir certaines caractéristiques.

L'évangile selon Matthieu comprend six mouvements, ou si l'on préfère, six parties qui développent le thème fondamental de l'ensemble, à savoir l'être-avec-nous de Dieu en Jésus.

– 1) La première partie (1,1 – 4,16) est un prologue christologique qui, d'un point de vue narratif, correspond à la naissance, à la petite enfance et à la préparation du ministère de Jésus. 4,17 marque, en effet, une coupure dans la mesure où ce verset signale le début de l'activité publique de Jésus. Par ailleurs, les cinq citations d'accomplissement qui rythment cette séquence (1,22-23; 2,15.17-18.23; 4,14-16) lui confèrent une unité littéraire incontestable. (Pour l'étude des ch.1-2 on se reportera au Cahier Évangile n° 18 de C. Perrot : « Les récits de l'enfance de Jésus »).

Ce prologue se signale par une grande cohérence théologique. Les ch.1-2 font découvrir que Jésus de Nazareth est le Fils de Dieu tandis que les récits du baptême et de la tentation (3,13 – 4, 11) indiquent comment cette filiation divine de Jésus doit être comprise.

– 2) La deuxième partie. À ce prologue qui indique la signification décisive de l'homme dont l'évangile va raconter l'histoire, succède une deuxième partie (4,17 – 11,30) consacrée à la présentation matthéenne du Christ. Cette présentation, qui est sans doute la partie la plus originale de l'évangile, s'achève par l'appel du Sauveur (11,28-30). Dès le ch.12, en effet, Matthieu reprend le fil de la narration tel qu'il est établi par Marc. Mais plus encore que cet argument littéraire, ce sont la spécificité et la cohérence de cet ensemble qui justifient le découpage proposé.

Le Sermon sur la Montagne (5-7) constitue le premier temps fort de cette seconde partie. ll révèle Jésus comme l'interprète souverain et dernier de la Loi vétérotestamentaire. Pour Matthieu, en effet, le Christ est le maître qui donne à la volonté de Dieu sa forme achevée et ultime. En ce sens, il est le Messie de la parole. (Pour l'étude des Béatitudes, on se reportera au Cahier Évangile n° 24 : « Le message des Béatitudes »).

Cependant, la parole du Messie ne se réduit pas a un simple discours. Elle instaure ce qu'elle déclare. Aussi, dans les chapitres 8-9 qui regroupent un nombre important de récits de miracles, découvre-t-on en Jésus le Messie de l'action. La volonté de Dieu souverainement interprétée est maintenant accomplie par Jésus, elle est inscrite dans la réalité du monde.

Le discours d'envoi (10) s'intègre, lui aussi, à ce portrait Deux observations le montrent. D'une part, dans là péricope conclusive des ch. 8-9, Jésus s'émeut du fait qu'Israël est semblable à un troupeau sans berger (9,36); or plutôt que d'assumer ce rôle de berger, ce sont ses disciples que le Christ envoie (10). D'autre part, la constatation de l'irruption des temps messianiques dont la prédication aux pauvres et les actes de puissance sont les signes, intervient seulement en 11,2-6. C'est dire que la mission des disciples qui prolonge celle de Jésus fait partie du programme messianique. Non seulement Jésus est le Messie de la parole et de l'action, mais encore il associe les siens à son œuvre afin qu'ils l'étendent et la perpétuent.

Dès lors que ce triptyque est mis en place, peut retentir la fameuse question christologique qui ouvre le ch. 11: « Es-tu 'Celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? » (11,3). L'appel à la décision (11,6) qui clôt la réponse de Jésus est ensuite antithétiquement développé, d'une part, par la lamentation sur les villes de Galilée, d'autre part, par l'hymne de jubilation et l'appel du Sauveur (l l, 20-30).

– 3) La troisième partie. La confession de foi de Pierre à Césarée de Philippe qui marque une claire césure dans l'évangile, délimite la fin de la troisième partie (12,1 – 16,12). La structure de cet ensemble est moins nette. Le thème dominant en est la séparation progressive qui s'instaure entre les pharisiens, d'une part, et les païens pleins de foi et les disciples d'autre part. L'alternance entre l'édification des disciples et la polémique avec les adversaires rythme le fil de la narration. Si le ch. 12 et le début du ch. 16 qui encadrent la séquence, consistent en des controverses avec les pharisiens, le ch. 13 fait succéder à l'enseignement public de Jésus l'instruction des disciples (vv. 36-52). Dans les deux morceaux qui débutent respectivement en 13,53 et en 14,34, à chaque fois le verbe « se retirer » (14,13, 15,21) indique le passage de l'affrontement à l'édification.

– 4) La quatrième partie (16,13 – 20,34) est le pendant de Marc 8,27 – 10,52. Sa cohérence thématique est évidente : il y va de l'édification de la communauté des disciples. Les deux points forts en sont, d'une part, l'installation de Pierre dans sa fonction de fondement de l'Église (16,13-20) et, d'autre part, le cours communautaire (ch. 18).

– 5) La cinquième partie (21-25) décrit le séjour de Jésus à Jérusalem avant la Passion. Ici encore l'unité de thème prédomine car la séquence toute entière est centrée sur la crise d'Israël et sur sa signification pour la communauté chrétienne. Ce sujet est traité de façon systématique par le biais d'un schéma qui se répète deux fois (21,1-22,14 et 22,15-25, 46). Son canevas a la teneur suivante : Israël comparaît devant le Christ ; il est déclaré coupable ; la sentence est annoncée ; elle est exécutée ; ce destin effrayant devient un motif de parénèse pour l'Église.

– 6) La sixième et dernière partie (26 – 28) est consacrée de façon fort classique au cycle de la Passion et de Pâques. Si les ch. 26-27 nous rapportent la souffrance et la mort du juste, le ch. 28 témoigne de sa résurrection.

© Jean Zumstein, SBEV / Éd du Cerf, Cahier Évangile n° 58 (décembre 1986), « Matthieu le théologien », p. 9-11.