On s’interroge parfois sur la fiabilité historique de l’Apocalypse...
On s’interroge parfois sur la fiabilité historique de l’Apocalypse, notamment au regard des exagérations manifestes relatives aux persécutions subies par les premiers chrétiens. À lire l’Apocalypse, on se croirait transportés aux pires moments du IIIe siècle, lors des grandes persécutions de Dèce, Valérien ou Dioclétien. Les historiens sont dans leur droit lorsqu’ils invitent les lecteurs de l’Apocalypse à faire preuve de circonspection. Mais n’en est-il pas de même au sujet de la chute annoncée de Rome-Babylone ? L’Apocalypse a beau dire que les temps sont proches, en fait l’effondrement de l’Empire romain n’aura lieu que quelques siècles plus tard. Il en sera sans doute de même pour les persécutions massives redoutées par les communautés asiates du Ier siècle.
Cela n’exclut pas pour autant la réalité de persécutions dès le Ier siècle, sans doute isolées mais non moins marquantes pour les Églises affectées, telle celle de Pergame après la mise à mort d’Antipas. Le fait que cet événement n’ait pas laissé de trace dans la grande histoire ne suffit pas à disqualifier le témoignage de l’Apocalypse : n’est-ce pas le propre de ces incidents ponctuels auxquels les documents n’accordent aucune place ? De toutes façons, on ne peut nier, dès le Ier siècle, l’acharnement de Néron contre les chrétiens de Rome (64) ou bien encore, peu après la rédaction de l’Apocalypse et dans une région voisine de la province d’Asie, la persécution des chrétiens de Bithynie (vers 110), certes régulée par l’empereur Trajan (cf. sa correspondance avec le gouverneur Pline le Jeune) mais non moins exercée avec une grande sévérité. D’autre part, le principe romain de l’État de droit, justement affirmé par Trajan dans sa lettre à Pline, connut aussi quelques entorses sous les règnes exaltés, voire autocratiques, de Caligula, Néron ou Domitien. Les historiens romains s’en sont les premiers émus et indignés.
Certes, l’Apocalypse exprime un ressenti communautaire, plutôt qu’une description objective de la situation du moment. Toutefois, la suite donnera raison aux auteurs de ce livre, confirmant tant le danger des persécutions que la fragilité d’un Empire fondé sur un paganisme révolu. Deux siècles et quelques années plus tard, Constantin fera le même diagnostic et en tirera les conclusions que l’on sait. Le tort (ou le mérite) de l’Apocalypse serait donc d’avoir eu raison trop tôt.