Le livre de Josué fait référence à l'anathème ou ''interdit''. Que signifient précisément ces termes ?

En quoi consiste réellement l’anathème, ou interdit ? Le terme hébreu herem semble plus précis que sa traduction grecque anathema. Il désigne la malédiction par laquelle une personne ou un objet doivent être soit détruits, soit écartés en raison de leur caractère sacré. Sa plus ancienne formulation en Ex 22, 19 '' Qui sacrifie aux dieux sera voué à l’anathème, sauf si c’est au YHWH et à lui seul '' indique clairement qu’une telle sanction frappe en premier l’idolâtrie, qu’il s’agisse d’individus (Lv 27, 29) ou de villes (Dt 13, 13-19).

Dans la pratique cependant, l’anathème semble surtout lié à la guerre sacrale (Nb 21, 1-3 ; Jos 6 ; Jg 1, 17 ; 1 S 15), même s’il reste chose rare – on ne le rencontre pas dans les guerres menées par David et ses successeurs. De fait, dédier tout le butin à Dieu ne devait guère convenir à des soldats, toujours avides de s’enrichir des dépouilles de leurs adversaires ; d’où de multiples violations – comme celle d’Akân en Jos 7, 1. En s’appuyant sur l’unique mention de l’anathème en dehors d’Israël (la stèle du Mésha, roi de Moab), on a voulu faire du herem une pratique réelle dans la conduite de la guerre, inscrite dans le lointain passé d’Israël (ainsi G. von Rad). Mais le silence des textes, et surtout leur rédaction tardive, invite à une plus grande prudence, d’autant qu’il faut donner le plus souvent au verbe hrm (au hifil) le sens commun d’ '' anéantir, exterminer '' en dehors de tout caractère religieux (ainsi en Is 34, 2-5 ; 43, 28 ; Jr 25, 9 ; 50, 21-26 ; 51, 3 ; etc.). Il en est de même lorsque la Bible parle de la manière dont les Assyriens mènent la guerre à leur manière (2 R 19, 11 ; 2 Ch 20, 23 ; 32, 14), d’autant qu’aucun texte cunéiforme ne corrobore chez eux l’existence d’une telle pratique rituelle. Ce qui ne revient pas à nier le caractère brutal et violent des guerres assyriennes, comme le montre les bas reliefs du roi Sennachérib célébrant sa victoire sur Lakish en 701…

Aussi convient-il de se reporter aux lieux bibliques où l’anathème est clairement défini, à commencer par Dt 7, 1-6 et 20, 12-15. Dans l’un et l’autre textes, le herem se présente comme un vu qui voue à l’interdit toute population étrangère à l’intérieur du pays donné par Dieu à Israël, afin de ne pas succomber à l’idolâtrie. Pour radical qu’il soit, le vu s’inscrit donc dans la théologie de l’élection : parce que '' peuple séparé '' et part réservée pour Dieu, Israël doit se protéger des autres nations. Rien d’étonnant alors à ce que Dt 13, 13-19 retourne ce vu contre une des villes d’Israël en cas d’apostasie. À travers la thématique de la rupture des mariages contractés entre Juifs et non-Juifs (Esd 10, 8), l’époque post-exilique développe cette même vision qui – pour choquer une mentalité contemporaine – n’en demeure pas moins plus '' spirituelle '' qu’effective. À bon droit, on estimera que le herem dans les textes bibliques relève d’une relecture des événements passés, et qu’il s’inscrit dans la lutte pour maintenir la pureté religieuse d’Israël telle que la développe la théologie deutéronomiste exilique et post-exilique ; il ne correspond pas pour autant à une conduite réelle de la guerre rendue impossible par la situation présente (l’exil). Rien d’étonnant alors si le herem apparaît dans des récits (Jos 6, 17-18.21 ; Jos 8, 26 ; 9, 24-25; 10, 28-39 ; 11, 10-20) dont la lecture montre qu’ils sont loin de la véracité historique au sens où nous l’entendons aujourd’hui.


© Philippe Abadie, SBEV / Éd. du Cerf, Cahier Évangile n° 134 (décembre 2005) "Le livre de Josué, critique historique",  p. 22 (encadré).