Comment vivre l'amour fraternel ? Paul donne quelques conseils...

« Au sujet de la fraternité, vous n'avez pas besoin qu'on vous écrive : vous-mêmes, en effet, êtes enseignés par Dieu à vous aimer les uns les autres et vous le faites envers tous les frères, en la Macédoine entière; nous vous exhortons donc, frères, à progresser plus : mettre (votre) honneur à vivre tranquilles, faire chacun vos propres (tâches) œuvrer de vos propres mains, comme nous vous avons prescrit, afin que vous marchiez honnêtement au regard de ceux du dehors, et que vous n'ayez besoin de personne » (1 Th 4,9-12).

Pour introduire son sujet, Paul s'exprime par prétérition : il déclare inutile d'aborder une question qu'il va néanmoins traiter. D'une part, ses correspondants vivent effectivement cet amour qui a motivé son action de grâce et sa joie (1,3 et 3,6-9). Conformément à la prophétie d'Isaïe 54,13 sur la restauration de Jérusalem, épouse du Seigneur (« tous tes fils seront des "enseignés" du Seigneur ») et conformément à la prophétie de Jérémie 31,34 sur la Nouvelle Alliance (« ils ne s'instruiront plus entre frères ») ils ont appris de Dieu l'amour fraternel, et ils l'ont manifesté aussi bien à l'intérieur de leur communauté (« les uns les autres ») qu'envers les autres communautés chrétiennes (« envers tous les frères, dans la Macédoine entière »). Mais, d'autre part, il leur reste des progrès à accomplir, énoncés sous la forme d'une triade : vivre tranquilles, accomplir chacun sa propre tâche, se livrer au travail manuel.

Des hypothèses diverses ont été émises pour cerner la situation concrète à laquelle cette exhortation veut porter remède. La plus répandue suppose une agitation engendrée par la conviction de l’imminence de la Parousie du Seigneur. Cette hypothèse s'appuie plus sur 2 Th 3,6-12 que sur 1 Th.

Cette explication ne satisfait pas pleinement, car il est difficile de voir pourquoi l’imminence de !a parousie aurait entraîné une cessation du travail. Aujourd'hui, ceux qui, dans certaines sectes, proclament l'imminence de la fin du monde n'en tirent pas cette conclusion. Souvent même, à l'approche de la mort, des hommes redoublent d'ardeur à la tâche ! Il doit plutôt s'agir d'une conduite que Paul a l'habitude de recommander, puisqu'il précise : « comme nous vous l’avons prescrit ». Pourquoi ? Sans doute parce que le travail, dans ce milieu socio-culturel, était réservé aux esclaves ou aux serviteurs. Paul perçoit l'injustice de l'organisation du travail: il ne prend pas la tête d'une croisade contre cette injustice, car les chrétiens, à leurs débuts dans l'Empire romain, ne pouvaient pas se permettre de telles prises de positions fracassantes. Mais, sans élaborer de théorie précise, il voudrait qu'à l'intérieur des communautés chrétiennes, la foi commence à engendrer une transformation des rapports sociaux. Or, le travail est l'un des lieux privilégiés de l'expression de ces rapports.

Certains chrétiens de Thessalonique faisaient probablement partie de ces classes de commerçants ou de propriétaires terriens qui n'avaient pas besoin de travailler de leurs mains pour vivre : ils avaient suffisamment de gens à leur service, et vivaient sans doute dans une oisiveté agitée. C'est pourquoi Paul a commencé par leur demander de « vivre tranquilles » (v. 11). Les Grecs, en effet, avaient une très haute estime pour le calme et la tranquillité, vertus qui permettaient de bonnes relations avec les autres, en même temps qu'elles favorisaient la réflexion intérieure. Un excellent moyen de trouver cette paix est d'être occupé à des tâches humaines, y compris le travail manuel malgré le peu d'estime où il était tenu par une grande partie de la population aisée.

Cette manière de vivre sera un témoignage d'honnêteté pour les non-chrétiens (v. 12) et procurera cette « autarcie » chère aux Stoïciens, c’est-à-dire cette liberté qui refuse de dépendre des autres pour la satisfaction des besoins élémentaires de l'existence (« afin que vous n'ayez besoin de personne »). Il ne s'agit pas de promouvoir une suffisance qui mépriserait ce que les autres peuvent apporter à chacun dans tous les domaines, ni de nier la nécessaire complémentarité des tâches dans une société, mais i! s'agit d'une injustice a faire disparaître : pas de parasitisme

Reste que cette exhortation au travail est mise en relation avec l'amour fraternel, et cela étonne ceux qui mettent facilement une cloison étanche entre les domaines de la justice et de l’amour. Paul s'exprime sans doute au nom de son expérience personnelle du travail manuel : les rabbins juifs devaient exercer un métier manuel, et il a insisté, en 2,9, sur le fait que son travail manuel a Thessalonique était une manifestation d’amour : il sait donc bien, par expérience, que le travail peut et doit prendre place parmi les actualisation concrète de l'amour de charité.

© Michel Trimaille, SBEV / Éd du Cerf, Cahier Évangile n° 39 (février 1982), « La première lettre aux Thessaloniciens », p. 54-55