Reniement de Pierre, outrages à Jésus et procès juif (Lc 22, 54-71)
[Dimanche des Rameaux et de la Passion - Année C - Lc 22, 14 – 23, 56]Chez Luc, Jésus est conduit chez le Grand Prêtre où il est gardé en attendant le jour. Puis le Sanhédrin se réunit le matin, sûrement dans son lieu habituel, une salle près du Temple (de fait, une réunion nocturne du Sanhédrin dans la maison du Grand Prêtre est peu vraisemblable historiquement malgré Mc et Mt). L'attente de l'aurore n'est pas vide d'événements : il y a les reniements de Pierre et les outrages à Jésus. Jusque là tout se passe sous le régime d'autonomie partielle que Rome accordait au Grand Prêtre et au Sanhédrin pour les questions religieuses et civiles.
Lecture d’ensemble. Après l’introduction (v. 54), trois scènes s’enchaînent : les reniements de Pierre (v. 55-62), les outrages à Jésus (v. 63-65) le procès devant le Sanhédrin (v. 66-71).
Dans la première scène, Pierre suit Jésus, comme doit le faire un disciple, mais déjà de loin, car le Maître est maintenant arrêté. Ses reniements se font devant une servante et deux hommes : Dt 19, 15 prévoit qu'il faut deux ou trois témoins pour un crime, un péché ou une faute ; mais pour le lecteur chrétien, ce sont maintenant les évangiles qui sont témoins du reniement de Pierre. " Le Seigneur " se retourne et son regard provoque les pleurs amers de Pierre.
La deuxième scène est brève mais les verbes indiquent la durée. Moqueries, coups et insultes par des gardes qui ironisent sur les qualités de devin de Jésus (Luc montre ainsi qu’ils ont une triste conception du prophétisme, comme plus loin Hérode de la royauté du Messie).
La troisième scène, devant le Sanhédrin, n'est pas un vrai jugement (il n'y a pas d'enquête sur les actes reprochés) mais une volonté de faire dire à Jésus son identité. La première question se contente de lui demander s'il est le Messie (v. 67) et Jésus se met à parler du Fils de l'homme " à la droite de la puissance de Dieu ". La deuxième question porte alors sur le titre " Fils de Dieu " (v. 70). Jésus répond " oui " mais en utilisant l'ironie : c'est vous qui le dites, il y a donc quelque chose en moi qui vous pose question. Le Sanhédrin en conclut qu’il n’est pas besoin de témoins mais ne crie pas au blasphème. Il a une conception nationaliste du Messie et cela suffit pour accuser Jésus devant l'autorité de l'occupant.
Au fil du texte. L'ensemble des trois scènes autorise une approche anthropologique à partir de la dernière phrase : " Nous l'avons entendu de sa propre bouche " (v. 71). En effet, le problème de la communication – et de la communication de la vérité – est partout présent.
1) Dans la première scène, Pierre nie d'abord connaître Jésus, puis il nie être un membre de son groupe (comme s'il renonçait à son statut de disciple), enfin il dit ne pas comprendre de quoi il s’agit. Il ne veut pas communiquer sur le sujet, mais en fait il rejoint ainsi l'opinion de ses interlocuteurs : appartenir au groupe de Jésus serait un crime. " Le Seigneur " ne parle pas à Pierre, mais son regard est une communication intense.
2) Dans la deuxième scène, il n'y a aucun échange entre Jésus, qui se tait, et les gardes qui s'amusent de ses prétendus dons de devin. Son regard est maintenant caché par un linge. Jésus n'est plus qu'un corps qu'on peut frapper.
3) Dans la troisième scène, la communication de la vérité est demandée : " Si tu es le Messie, dis-le nous " (v. 67). Mais Jésus répond que la communication est impossible : à quoi bon dire une vérité que d'avance ses adversaires ne veulent pas croire ? À quoi bon les interroger, s'ils lui nient ce droit ? Mais Luc place ici un témoignage de Jésus sur lui-même, non pour le Sanhédrin, mais pour que son lecteur chrétien. Celui-ci se trouve face à trois titres de Jésus (en plus du " Seigneur " du v. 61). Il y a celui de " Messie ". Puis Jésus affirme être que le " Fils de l’homme " est (ou sera) assis à la droite de Dieu (formule inspirée du Ps 110, 1) : son acceptation de la volonté du Père est déjà un passage dans la Gloire. Le Sanhédrin en tire une conclusion exacte sur l’identité de " Fils de Dieu ", non comme une vérité mais comme exemple de cette " parole où le prendre en défaut " qu'ils cherchent depuis 20, 20, " afin de le livrer au pouvoir et à l'autorité du gouverneur ". Pour le lecteur chrétien, ce titre est au cœur de sa foi et il se rappelle que l'ange l'avait dit à Marie (1, 35).
Ainsi trois scènes où la communication ne fonctionne pas à l'intérieur du récit servent à la communication espérée du narrateur avec son lecteur.
© Yves Saoût, SBEV / Éd. du Cerf
, Cahier Évangile n° 137(septembre 2006) "Évangile de Jésus Christ selon saint Luc", p. 95-98.