Tout commence par un recensement ordonné par l’empereur Auguste…

La naissance du Sauveur (Lc 2, 1-21)

Ce texte fait partie d'un ensemble plus vaste : Lc 1, 5 – 2, 52 dont la liturgie a retenu 3 passages :

[Nativité du Seigneur - Messe de la nuit - Lc 2, 1-14]
[Nativité du Seigneur - Messe de l’aurore - Lc 2, 15-20]
[Sainte Marie Mère de Dieu - Lc 2, 16-21]


Lecture d’ensemble. Le texte peut se répartir en trois parties suivies d'une brève conclusion : d’abord, le recensement ordonné par César Auguste conduit Jésus à Bethléem (v.1-7) ; puis l'annonce aux bergers est suivie du cantique des anges (v. 8-14) ; en fin, les bergers venus voir l’enfant en parlent à d'autres (v. 15-20) ; en conclusion, circoncision et nom (v. 21).

La première partie à son tour se répartit en trois séquences :
a) Auguste publie un décret de recensement.
b) Joseph et Marie accomplissent la démarche pour être recensés.
c) Marie enfante Jésus et doit le coucher dans une mangeoire.

Cette mangeoire fait le lien avec le début de la deuxième partie qui parle de troupeaux gardés la nuit par des bergers. La bonne nouvelle de l'ange se termine encore sur la mention de la mangeoire. Il y a un fort contraste entre la condition humble de ces bergers et la Gloire du Seigneur qui les entoure de sa lumière. Même contraste, dans le cantique angélique, entre la Gloire de Dieu " au plus haut des cieux " et la paix proposée " sur la terre " aux " hommes que Dieu aime ", parmi lesquels, en premier, les bergers.

Dans la troisième partie les bergers sont très loquaces. Le narrateur rapporte d'abord leurs paroles puis il les montre racontant ce que l'ange leur a dit et enfin louant et glorifiant Dieu. Mais entre leur récit et leur louange, il insère une note sur la méditation silencieuse de Marie.

Au fil du texte. 1) En 1, 5 et 3, 1, la mention de rois ou de gouverneurs régnant sert seulement de repère historique pour l'initiative divine. Ici au contraire, l'empereur Auguste est actif : il prend l'initiative politique d'un recensement. Et le lecteur de se demander si ce pouvoir humain immense (sur " toute la terre " !) va contrecarrer le projet de Dieu. En réalité, il le sert : Luc ne cite pas la prophétie de Michée 5, 1-7, mais son insistance sur " la ville de David " et " la descendance de David ", ainsi que la proclamation de la " paix " par les anges, montrent qu'il a le texte prophétique présent à la pensée.

2) Un problème historique se pose ici : Quirinius et le recensement sont connus par d'autres sources mais leur coïncidence avec la fin du règne d'Hérode est difficile à admettre : Hérode est mort en -4 et le recensement eut lieu en +6. Quoiqu’il en soit, Luc sait que Jésus est né à Bethléem et il lui importe de montrer que, parmi tous les habitants que l’on peut recenser, il y a désormais le Sauveur.

3) Le texte ne dit pas que c'est dans une hôtellerie qu'il " n'y avait pas de lieu pour eux " (v. 7) mais dans une " salle d’hôtes ", c’est-à-dire la pièce principale d'une maison – les maisons de ce temps et de ce pays étant souvent adossées à une grotte qui servait d’étable.

C'est sans doute la Loi de Moïse (" l'impureté " de quarante jours, c'est-à-dire le tabou qui isole et protège à la fois la nouvelle accouchée, après sa perte de sang, Lv 12, 1-5 ; 15, 19-28) qui explique le retrait de Marie dans l'étable. C'est la même Loi de Moïse qui explique le terme " premier-né " (très exactement le fils qui doit être " racheté " – Ex 13, 1-2.11-16). Mais comme le narrateur ne mentionne pas ces explications par la Loi, le lecteur ressent un fort contraste entre les termes grandioses employés par Gabriel pour parler à Marie de son futur fils et la pauvreté ou même l'exclusion qui paraissent entourer sa naissance.

4) Au 1er siècle, le poète latin Virgile (Églogues, 4) voyait les bergers comme des gens simples et innocents alors que des rabbins juifs les considéraient comme des voleurs et des gens impurs. Luc les voit surtout comme des pauvres. La " bonne nouvelle " (v. 10) annoncée par l'ange aux bergers, Jésus la dira " annoncée aux pauvres " (7, 22). Mais il n'y a pas d'exclusive : ce " sera une grande joie pour tout le peuple ".

5) Les titres donnés par l'ange à l'enfant sont des anticipations de la foi pascale. Théophile les a appris dans la catéchèse. " Dieu l'a fait Seigneur et Christ ce Jésus que vous aviez crucifié " (Ac 2, 36). " Dieu l'a élevé par sa droite comme Prince et Sauveur " (Ac 5, 31). Marie avait chanté " Dieu [son] Sauveur " ; Zacharie avait employé trois fois le terme " salut " dans son cantique. Maintenant c'est le Messie (le Christ) qui reçoit deux noms jusque-là réservés à Dieu : " Seigneur " (traduction du Nom imprononçable) et " Sauveur ".

6) Ce sont ces titres que les bergers, après avoir vu l'enfant, font connaître aux gens présents (litt. " la parole à eux dite à propos du petit enfant ") et, quand ils s'en retournent, leurs louanges remplacent le chœur des anges. Pour Luc, la foi qui reconnaît les interventions de Dieu peut conduire à deux réactions : la louange à haute voix ou la méditation silencieuse, comme celle de Marie. " Luc place ainsi dans l'expérience des bergers et de Marie les dimensions de l'expérience chrétienne des croyants : l'écoute de la parole de Dieu, la rencontre de l'événement-signe, l'approfondissement ecclésial ou communautaire et la transmission de cette expérience à d'autres croyants ".


© Yves Saoût, SBEV / Éd. du Cerf, Cahier Évangile n° 137(septembre 2006) "Évangile de Jésus Christ selon saint Luc",  p. 16-18.