Le récit du festin sacrilège de Balthazar constitue une ferme condamnation de l'idolâtrie...

Le cadre narratif est celui du festin donné par Balthasar, régent de Babylone, au moment ou la cité est prise par l'ennemi venu d'Iran. Il s'agit d'un festin sacrilège, où les vases pris au Temple de Jérusalem sont profanés. Le narrateur peut viser la fête des Bacchanales instaurée à Jérusalem sous Antiochus Epiphane en 168 (cf. 2 M 6,7 : les « fêtes dionysiaques »). Après cette mise en scène (5,1-4), on a un événement terrifiant qui rappelle certaines pratiques du spiritisme: un ectoplasme de main trace une inscription sur le mur de la salle (5,5). Le roi appelle les devins : ils ne peuvent même pas lire l'inscription, écrite en cunéiforme cryptique (5,6-9). Mais la reine-mère vient rappeler au roi la sagesse de Daniel, institué jadis « chef des devins » (5,10-11). Daniel comparait devant le roi (5,12-16). Il commence par le sermonner, en lui rappelant le châtiment de son père Nabuchodonosor (5,17-21) et en lui reprochant son festin sacrilège (5,22-24).

Il déchiffre alors l'inscription dont il donne la lecture en langue akkadienne. Pourquoi donc n'était-elle pas lisible par des devins instruits des caractères cunéiformes ? Probablement parce qu'elle ne comportait que les signes correspondant aux chiffres Lue en unités monétaires, elle évoque les noms de la mine, du sicle et du demi-sicle. Mais ces mots évoquent aussi les participes passifs des verbes "compter", "peser" et "diviser". De là l'oracle que Daniel en tire. Le roi voit son règne mesuré, il va prendre fin; pesé, il ne fait pas le poids; son royaume divisé est donné aux Mèdes et aux Perses (double jeu de mots sur parsin).

On pourrait proposer une transposition en français. « Je lis : 1.1.2. C'est un compte : 1 livre, 1 franc, 2 sols. Cela veut dire : 1 livre : livrer ton pays est livré aux étrangers. 1 franc : franchi, tu as franchi la limite de tes années de règne. 2 sols : solder, Dieu a soldé ton compte et te donne aux gendarmes et aux soldats. » L'adaptation donne une idée des jeux de mots indéchiffrables. Quant à Daniel, il reçoit la récompense promise et devient membre du triumvirat qui régit le royaume. Mais dans la nuit même, Balthasar est assassiné et "Darius le Mède" devient roi à sa place. Il est clair que le récit vise le sort qui attend Antiochus Epiphane. Mais l'oracle menaçant ne concerne qu'un avenir encore incertain.

 

© Pierre Grelot, SBEV / Éd du Cerf, Cahier Évangile n° 79 (Mars 1992), « Le livre de Daniel », p. 33-34.