Le sacrifice a occupé une place centrale dans l'ancien Israël...

Le sacrifice a occupé une place centrale dans l'ancien Israël. Au Temple de Jérusalem se consumaient quotidiennement des holocaustes. Trois fois par an chaque Israélite se rendait au sanctuaire central pour rendre hommage à Dieu. Et chaque Israélite avait la possibilité, à tout moment, d'inviter son Dieu et d'établir avec lui des liens de commensalité. Par le biais du sacrifice, Dieu était ainsi l'hôte permanent d'Israël, et il était associé à chaque événement festif. Tous ces sacrifices manifestaient la familiarité d'un Dieu qui s'était lié à Israël. Et cette familiarité avec un Dieu dont on savait que la présence était source de bénédiction créait un sentiment de confiance, de foi en l'avenir. De sorte que, même lorsque la catastrophe avait frappé, Israël avait la certitude que son Dieu interviendrait de nouveau en sa faveur. Ce sentiment de confiance est le principal effet du culte sacrificiel, le plus important. Sans doute, le culte sacrificiel a aussi eu pour effet pervers de faire naître une fausse sécurité, nourrie par la croyance que la présence divine préserverait automatiquement de toute catastrophe, à la seule condition que le culte soit administré correctement. Mais les prophètes, par leur insistance sur la sainteté divine et sur la nécessité du respect des stipulations de l'alliance, apporteront les indispensables correctifs. Ce que le Code sacerdotal a parfaitement intégré en faisant de ia pureté et du respect scrupuleux des commandements la condition de la présence de Dieu.

Le culte sacrificiel est devenu caduc. Il n'y a plus de victime égorgée, d'autel ruisselant de sang, de nuée de fumée montant vers le ciel. Il n'y a plus de Temple. Il n'y a plus de territoire où Dieu habite avec son peuple. Non seulement parce qu'Israël s'est trouvé dépossédé de son territoire, mais surtout parce que la religion d'Israël a changé d'échelle. Jérusalem, simple capitale du royaume de Juda, est devenue capitale religieuse pour tous les Juifs dispersés de par le monde. Et Yhwh, le Dieu d’Israël, est devenu le créateur de l'univers. De ce fait cette forme d'anthropomorphisme où l'on pensait pouvoir inviter Dieu à sa table et le traiter en hôte de marque, même si elle a duré encore un certain temps, a fini par devenir anachronique. Et, plus généralement, I'illusion qu'il était possible d'offrir quelque chose à Dieu est tombée. Seul Dieu peut offrir quelque chose aux êtres humains. Et à ce don, les fidèles ne peuvent répondre que par la seule louange.

Mais ce qui est signifié par le culte sacrificiel demeure, à savoir que Yhwh est un Dieu proche, qui veut être présent au milieu dé son peuple, qui accepte d'établir avec lui des liens de commensalité, qui vient pour bénir. Une présence et une communion encore imparfaites, qui attisent ainsi l'espérance du jour où Dieu sera définitivement présent à Sion pour y établir son règne sur la terre entière et où la communion avec lui sera parfaite. Et en même temps, le culte sacrificiel rappelle que cette présence de Dieu est liée à une exigence. Cet enseignement est repris dans l'Eucharistie chrétienne, par l'intermédiaire de laquelle le fidèle, après s'être préparé à cette rencontre, reçoit de Dieu, présent au milieu des siens, la Vie et participe ainsi, dans la tension du déjà et du pas encore, au repas eschatologique.

On le voit, I'étude du système sacrificiel de l'ancien Israël ne relève pas simplement d'une démarche historique. Elle relève principalement de la théologie. Car le sacrifice nous parle de Dieu, et ce qu'il en dit garde toute sa valeur pour le Juif comme aussi pour le Chrétien.

 

© Alfred Marx, SBEV / Éd du Cerf, Cahier Évangile n° 111 (Mars 2000), « Les sacrifices de l’Ancien Testament », p. 53-54.