Le surgissement d'Israël se produit entre 1250 et 1100, événement qui se déroule en même temps qu'apparaissent les nations voisines : Aram, Ammon, Moab et Édom. On reste surpris du silence total des sources bibliques sur une présence égyptienne en Palestine jusqu'à la fin du XIIe s., alors que celle-ci est bien attestée par l'archéologie. Il faut en effet attendre 1 R 9,16 pour trouver un pharaon anonyme à Guèzèr au début du règne de Salomon et 1 R 14,25 qui évoque le raid de Shéshonq sous le règne de Roboam. Manifestement, la Bible ne connaît à cette période pas d'autres occupants du territoire que ies Israélites et divers peuples globalement désignés comme Cananéens.

Nous avons constaté que l'époque patriarcale était hors histoire, que l'Exode et la figure de Moïse devaient leur importance au développement ultérieur de la tradition et que la Conquête était essentiellement une fiction remontant à époque de Josias. Les éléments les plus anciens des représentations d'Israël en douze tribus ne remontent pas au-delà de l'époque royale. Le système généalogique des fils de Jacob pourrait ouvrir une piste intéressante sur la constitution d'Israël. Malheureusement, sa logique nous échappe pour une large part et, de toutes manières, elle procède d'un aménagement postérieur.

La protohistoire d'Israël demeure difficilement accessible à partir des données actuellement disponibles. Les traces archéologiques, qu'il demeure toujours tentant d’accomoder avec le texte biblique, restent ambiguës. La part d'hypothèse devient prépondérante lorsqu'il s'agit de croiser les informations relatives à des phénomènes complexes tels que la situation administrative d'une région, les modes de vie, les problèmes politiques, les déplacements de populations et les changements de société. Or, c'est seulement à ce niveau que l'on peut parler d'histoire. Le caractère ponctuel et lacunaire des sources disponibles ne laisse pas apparaître d'emblée un tableau suffisamment complet du paysage historique que l'on cherche à reconstituer. À plus forte raison, l'enchaînement des causes et des effets échappe-t-il souvent à une explication rigoureuse, et le champ laissé à l'interprétation est alors trop important pour qu'une seule ligne explicative puisse s'imposer de manière décisive.

C'est précisément à ce niveau de la recherche qu'apparaissent les différents modèles proposés pour rendre compte des origines d'Israël. Ce point a d'ailleurs fait l'objet d'un débat spécifique entre partisans de modèles différents d'abord, sur la pertinence de la notion même de modèle ensuite. Dans l'élaboration d'un modèle, on risque en effet de privilégier un élément particulier du dossier au détriment des autres, ou de négliger totalement un élément qui résiste à la ligne interprétative retenue.

Sur ce point précis, I'historien se heurte à une difficulté supplémentaire : la Bible présente elle-même plusieurs modèles qui semblent procéder de discours irréductibles les uns aux autres, ainsi que nous l'avons signalé. Si la Bible répond de diverses manières à la question des origines d’Israël, nous devons chercher à en comprendre les raisons. La constitution d'une nation est en effet un processus trop complexe pour qu'il soit possible d'en rendre compte par un seul type de discours ou par une seule ligne explicative. Il faut apprendre la nécessaire complémentarité d'approches variées.

Sans doute faut-il faire notre deuil de certaines représentations. Mais le reconnaître est déjà un progrès. Constater que l'archéologie n’offre pas d'argument absolu n'est pas, en soi négatif. Si nous pouvions retirer la conviction que l'Israël qui dit ses origines dans le Pentateuque et le livre de Josué n'est définitivement né que plus tard, dans une certaine mesure sans doute avec les premiers rois, mais surtout - comme peuple de Dieu - durant la période royale et l'Exil, peut-être aurions-nous fait un pas décisif.

 

© Damien Noël, SBEV / Éd du Cerf, Cahier Évangile n° 99 (Mars 1997), « Les origines d’Israël », p. 65-66.