Jacques Roubaud se définit comme « compositeur de poésie »...

Jacques Roubaud se définit comme « compositeur de poésie ». Avec Marie Borel (qui travaille la langue « dans une zone frontière qui n’est ni la poésie, ni le récit ») et Jean L’Hour, bibliste, il a constitué un « traducteur tricéphale » de plusieurs livres de la Bible Bayard (Lévitique, Nombres, Qohélet, Joël, Esther) :

« Ce fut ardu. Il nous fallut trouver un état d’équilibre. Au début, il y eut en fait séparation : d’un côté, deux manipulateurs de la langue comme objet artistique, de l’autre, un savant. Jean L’Hour fournit les données (assez énormes […]). Nous nous emparons de ce matériau, nous nous débattons avec lui, nous construisons quelque chose que nous soumettons ; nous discutons, reconstruisons ou ajustons ; et ainsi de suite, étant entendu que Jean L’Hour reste juge en dernière analyse de ce qui est acceptable du point de vue du texte de départ. […] Il a mis à disposition de l’équipe beaucoup plus que le mot à mot : les mots dans leur contexte du verset, du livre, du tout de la Bible ; dans leur environnement syntaxique, rythmique, tenant compte des échos à distance dans les autres livres. […] Il nous a donné, oralement, lors des très nombreuses séances communes de travail, le rythme de l’hébreu : sa très ancienne et profonde connaissance du texte, les questions qui lui étaient posées l’amenant à faire surgir de sa mémoire des associations qui s’y trouvaient mais qui ne seraient pas venues au jour sans le questionnement venant de familiers d’un registre de langue. […] La version définitive s’est établie peu à peu, par confrontation et discussion en commun. […] Un principe fondamental a constamment guidé le travail de la traduction : s’efforcer de rester aussi près qu’il est possible du sens profond du texte, en le faisant parler selon la poésie (ou la prose) contemporaine en langue française. »


Jacques Roubaud, « L’étrangeté du texte », dans J. Nieuviarts et P. Debergé (éd.), Les Nouvelles Voies de l’exégèse, p. 235-237. (Cité par Jacques Nieuviarts et Gérard Billon, SBEV / Éd. du Cerf, Cahier Évangile n° 157 (septembre 2011), "Traduire la Bible en français", p. 44.)

« Travailler à deux change tout. On devient d’abord lecteur avant d’être traducteur. L’exégèse déplie la pensée du texte, la pensée de la forme du texte. Elle ne ressemble pas à une proposition de traduction déguisée ni à un b.a.-ba de l’original. Ce n’est plus une proposition plate à réécrire ou le prétendu sens premier du poème brut à enjoliver. » 

« Finalement on utilise ce qu’on sait déjà en poésie, c’est pourquoi les traductions n’ont qu’une durée de vie limitée. Ce ne sont pas des poèmes personnels. Il faut éviter de réécrire et s’occuper intensément de la découpe du parlé, du récité, du chanté. C’est de la poésie parce que le vers y est utile. Il décadre, isole, relie. Comment faire entendre ces trois modes dans une même corde ? »
 

© Olivier Cadiot, « postface », dans Les Psaumes, trad. O. Cadiot, M. Sevin, Bayard, Paris, 2002, p. 344. (Cité par Jacques Nieuviarts et Gérard Billon, SBEV / Éd. du Cerf, Cahier Évangile n° 157 (septembre 2011), "Traduire la Bible en français", p. 44.)