Pourquoi ces interventions sanglantes du pouvoir séleucide ? Pourquoi l'abolition du " judaïsme " ?...

La lecture des sources juives, déconcertante, répond mal à cette simple question : pourquoi ? Pourquoi ces interventions sanglantes du pouvoir séleucide ? Pourquoi l'abolition du " judaïsme " ? E. Bickermann (The God of the Maccabees) s'est efforcé de percer ce rideau de fumée, sans y parvenir totalement, puisque, on l'a vu, les sources gèrent mal l'enchaînement des événements. Cependant, les textes s'accordent pour distinguer deux étapes : d'abord une hellénisation politique et culturelle, puis une hellénisation religieuse. Proposons une interprétation possible (comparer Ph. Abadie, Lecture des livres des Maccabées, p. 43-68).

L’action du grand prêtre Jason
À l'avènement d'Antiochos IV, le grand prêtre Jason demande en fait un changement de constitution : que Jérusalem obéisse, non plus aux " coutumes ancestrales ", mais aux structures d'une polis hellénistique. Cette revendication a sans doute l'appui de la bourgoisie des affaires et des propriétaires fonciers. Avec l’éphébie, les citoyens seront recrutés parmi les fils de ces classes dirigeantes ; face à eux, les petits artisans et les paysans se verront mis en marge de la vie de la cité.

Sans doute à l'instigation des Tobiades (AJ XII, 239), une partie de la classe aisée trouve trop mou l'engagement de Jason dans l'hellénisme et pousse Ménélas au pontificat. Ce dernier est d'origine sacerdotale, mais non du clan sadocite d'où vient traditionnellement le grand prêtre. Ainsi, les enjeux politiques prennent le pas sur la tradition religieuse. Pour mieux asseoir son pouvoir, Ménélas fait disparaître son prédécesseur Onias III, personnage fort estimé dans certains cercles juifs (Dn 9, 26 ; 2 M 4, 1-34), et s'établit en maître sur le trésor du Temple. Les circonstances de la mort de son frère Lysimaque (2 M 4, 39-42) supposent une résistance des milieux populaires à la classe au pouvoir et l'existence de ferments anti-séleucides.

Sur ce fond d'agitation, Jason pense le moment venu de reconquérir son poste de grand prêtre. En cela, il a pu être incité – voire manœuvré – par Hyrcan le Tobiade auprès de qui il a trouvé refuge en Ammanitide. L'occasion s'impose lorsque Antiochos IV s'engage dans sa première campagne contre l’Égypte en 170–169.

L'attaque de Jason contre Jérusalem (2 M 5, 5-10) échoue, mais elle provoque l'interven-tion sanglante du roi, au retour de sa première campagne d’Égypte, en 169 (en suivant 1 M 1, 16-28). D'une part, toujours à court d'argent, celui-ci fait main basse sur les richesses du Temple avec la complicité de Ménélas. D'autre part, le parti pro-séleucide lui semblant mal assuré dans la région, il laisse un représentant personnel à Jérusalem et en Samarie (2 M 5, 22 s.).

L’action du mysarque
En 167, Antiochos IV envoie le mysarque Apollonios qui a pour mission de bâtir l'akra, nouveau centre de la polis, et de transformer ainsi Jérusalem en une " colonie d'étrangers " (1 M 1, 38) composée de militaires syriens, phrygiens, chypriotes, et de citoyens juifs hellénisants renonçant à la constitution antérieure d'Antiochos III. Pour mener à bien ce projet, il fallait exproprier les Juifs non citoyens (voir 1 M 1, 32-35 ; Dn 11, 39) et forcer l'élément juif à quitter la ville et la région (1 M 1, 38 ; voir 2 M 5, 27).

On comprend alors les décrets d'abolition du judaïsme religieux édictés à la fin de l'an 167. Le roi voulait s'assurer, face à l’Égypte, d’une région totalement séleucide et pure de toute tradition culturelle de tendance autonomiste. En outre, après les opérations menées par Apollonios, le roi pouvait considérer de jure que désormais la " nouvelle Antioche " et les terres dépendant de cette cité n'avaient plus rien de juif et que la situation devait de facto correspondre à ce régime. Au reste, aux yeux d'un païen, le culte de Ba’al-Shamem/Zeus Olympien n'ôtait rien au " Dieu du Ciel " vénéré en Israël et ne fermait pas la porte aux Juifs.

Une partie de la population juive a probablement soutenu le projet d'une intégration de la Judée à l'hellénisme, et les réactions des Samaritains citées par Josèphe constituent un parallèle plausible. Mais nombre de Juifs ne l'entendaient pas ainsi. Les scribes et les Hassidim se trouvaient dépossédés de leur rôle de promoteurs des lois ancestrales, la classe laborieuse de Jérusalem se voyait exclue des avantages réservés aux citoyens du nouveau régime et la masse rurale ne reconnaissait plus le visage de la Ville sainte. Antiochos IV a sous-estimé les forces de résistance au projet soutenu par les Hellénisants. La description horrifiée des cultes païens en 2 M 6, 2-7 montre comment les tenants de la tradition juive pouvaient se ressaisir et polariser leur lutte sur le maintien de la Loi de Moïse et la pureté du culte du Dieu unique. C'est le clan des Maccabées qui, à partir de la Judée rurale, donnera consistance à ces réflexes de défense. Contre la présentation légendaire de 2 M 7, le roi n'aura sans doute rien vu des persécutions et de la révolte que ses décisions avaient déclenchées ; car, dès l'an 166, il part vers l’est pour défendre ses frontières contre les Parthes.


© Claude Tassin, SBEV / Éd. du Cerf, Cahier Évangile n° 136 (juin 2006) "Histoire d'Israël : des Maccabées à Hérode le Grand",  p. 13-14.