Le champ de l’enquête s’intéresse ici aux livres historiques...

Le champ de l’enquête s’intéresse ici aux livres historiques : Josué, Juges, Samuel et Rois, aux livres des Chroniques et d’Esdras–Néhémie. Loin d’un regard exhaustif, il s’agit de rendre compte de quelques grandes tendances sur la manière dont la représentation des autres dieux se donne à comprendre dans ces textes. Les mentions les plus nombreuses des divinités se trouvent dans les livres des Juges et ceux des Rois, le nom de Baal revenant particulièrement.

Baal dans l’histoire deutéronomiste
Dans l’histoire deutéronomiste , Baal est mentionné à cinquante-deux reprises. Les livres des Rois offrent la plus importante concentration d’occurrences (39 x), suivis par le livre des Juges (10 x). L’ensemble des mentions de Baal se trouve assorti d’expressions deutéronomistes : « servir le Baal », Jg 2,11 ; « courir après les Baals ou après les dieux », 1R 16,31 ; « se prostituer aux Baals », Jg 8,33 ; « faire ce qui est mal aux yeux de Yhwh », 1R 16,31 ; 22,54 ; « faire passer leurs fils et leurs filles par le feu », 2R 17,17. La plupart des occurrences peuvent être regroupées dans un ensemble de textes où la mention du dieu Baal est soit isolée, soit diversement associée à celle d’autres dieux et déesses, et connotée négativement par l’infidélité à Yhwh. 

Dans un deuxième ensemble d’occurrences, le dieu Baal est l’objet d’un développement narratif et apparaît seul (ou associé avec Ashérah) en confrontation directe avec Yhwh (Jg 6,25-32 ; 1R 18,17-46 ; 2R 1,2-17 ; 2R 10,18-28 ; 2R 23 ; Os 2,4-25).

L’usage de la mention de Baal est souvent général et intégré à des listes, comme en 2R 17,16 : « Ils ont dressé un poteau sacré, se sont prosternés devant toute l’armée des cieux et ont servi le Baal… » ou encore 2R 23,4-5 : « Le roi ordonna au grand prêtre… de faire sortir du temple du Seigneur tous les objets qu’on avait fait en l’honneur du Baal, d’Ashéra et de toute l’armée des cieux. » La mention de Baal et des divinités associées décrit les infidélités d’Israël envers Yhwh, et fait partie des arguments explicatifs des échecs de l’histoire d’Israël et de Juda. 

Malgré le caractère stéréotypé de ces formules, elles indiquent une prégnance du culte de Baal, dans la réalité religieuse de l’époque royale en Israël et en Juda. Elles corroborent l’image « historique » dressée en amont. Cette prégnance se manifeste également par le fréquent usage pluriel du terme Baal ou encore avec l’article défini : Jg 2,13, « ils servent le Baal » ; 1R 16,31 ; 1R 22,54, « il servit le Baal » ; Jg 10,6 ; 1S 7,4 : « ils servent les Baals »

Dans HD, l’usage de « le Baal » est un nom collectif, équivalent à celui « des Baals » que l’on trouve associé aussi aux « Astartés », Jg 2,11-13, 1S 7,4. « Le Baal » ou « les Baals » est une désignation collective des divinités masculines autres que Yhwh en Juda. « Le Baal » ou « les Baals » est devenu un terme générique qui est le paradigme par excellence de l’infidélité à Yhwh.

Par rapport à cet usage majoritaire, HD laisse une place importante aux récits de controverse contre Baal (Jg 6 ; 1R 17-18 ; 2R 1 et 9-10) et présente le conflit entre Yhwh et Baal telle une lutte passée appartenant à l’histoire de l’Israël du nord aux époques royale et prémonarchique. L’importance du culte baalique dans le nord à une haute époque a été soulignée précédemment, ce que corrobore l’absence du terme Baal dans le code deutéronomique, élaborée au viie s.av. J.-C. en Juda, et le quasi-silence des livres de Samuel (les mentions de Baal de 1S 7,4 et 12,10 sont générales). Cela indique que la lutte contre le baalisme provient davantage des traditions de l’Israël du nord que de Juda, au sud. 

Dans le nord, la lutte contre le culte de Baal, selon 1R 18 et Os 2, est de nature différente de la lutte religieuse menée à l’époque de la réforme de Josias. Sous le roi Josias, la lutte contre le baalisme est intégrée dans un rejet global et deutéronomiste des cultes associés à Yhwh : Baal, Ashéra et Armée des cieux (voir infra 2R 23) ou Baal/Astarté (Jg 2,13 ; 10,6 ; 1S 7,4 et 12,10). L’association Baals/Astartés est d’ailleurs interchangeable avec l’association Baals/Ashérahs (Jg 3,7). Le terme Astarté au pluriel fonctionne de manière équivalente à celui de Baal au pluriel, à la manière d’un nom collectif désignant un groupe de déesses.

Des récits de polémique
Trois récits-type.
Jg 6,25-32 (avec Gédéon) 1R 18,17-46 (avec Élie) et 2R 10,18-28 (avec Jéhu) sont proches les uns des autres et racontent une confrontation avec le dieu Baal et les représentants de son culte. Sans faire une lecture exhaustive de ces textes, il s’agit de pointer quelques éléments nécessaires à notre enquête.

Ces récits présentent un certain nombre de motifs parallèles : 

• Un sacrifice /holocauste est l’occasion de la confrontation avec Baal. 

• L’action contre Baal ou ses représentants est préparée et préméditée. 

• Le héros de la lutte contre Baal doit faire face à une opposition menaçante ou bien il entre en conflit avec les plus hautes institutions d’Israël. 

• Les récits comprennent des moments ironiques ainsi que des moqueries à l’encontre de la divinité de Baal et de sa religion. 

Ces récits ne sont pas uniformes et, selon leur contexte, traitent différemment la polémique contre Baal. Un premier regard indique qu’il y a une sorte de radicalisation croissante dans la substitution du culte de Baal par le culte de Yhwh entre Jg 6,25 s et 2R 10,18 s. Ce dernier épisode semble constituer le point d’achèvement de la montée progressive de la lutte contre le culte de Baal (et la maison d’Akhab).

Un récit apparenté.
En 2R 1,2-17 des motifs importants manquent, notamment celui du sacrifice/holocauste. Le Baal évoqué dans ce passage est le Baal-Zeboub des Philistins ; Élie ne s’y oppose pas directement et le texte se concentre sur sa confrontation avec le roi Akhazias. Cependant 2R 1 utilise des motifs comparables à ceux de Jg 6,25-32 ; 1R 18,17-46 et 2R 10,18-28 : 

• Le « feu qui dévore » est commun avec Jg 6,21 et à 1R 18,38-39,

• La confrontation entre le roi Akhazias et le prophète Élie rappelle celle de Jg 6,30 (les hommes de la ville menacent Gédéon) et surtout celle de 1R 18,17-19 (roi Akhab/prophète Élie). 

• La passivité de Baal-Zboub par rapport à l’efficacité de Yhwh est comparable à l’impuissance de Baal en 1R 18,26-29, Jg 6,31-32 ou 2R 10,27-28.

Un motif : mettre à l’épreuve le dieu.
Les récits étudiés interrogent et mettent à l’épreuve de manière variée la divinité de Yhwh et celle de Baal en Israël. Ainsi les formulations suivantes se retrouvent à propos de Baal en Jg 6,31 : « S’il est dieu », en 1R 18,21 : « Si Yhwh est le dieu, suivez-le, si c’est le Baal, suivez-le », en 2R 1,3 : « N’y a-t-il pas un dieu en Israël ? ». Face à ce questionnement, seuls les dieux sont à même de dire et d’affirmer leur divinité (1R 18,21-24). C’est pourquoi ces narrations ont les traits de récits d’ordalie où une intervention et un jugement divin sont requis : Jg 6,31 « Si Baal est dieu, qu’il plaide lui-même sa cause ! », 1R 18,24 : « Le dieu qui répondra par le feu, c’est celui-là qui sera le dieu. » Questionner les dieux sur leur capacité à manifester leur divinité en Israël est un motif récurrent. Enfin ces récits mettent en évidence l’impuissance de Baal à répondre au renversement de son autel (Jg 6), à ses prophètes (1R 18), et à guérir (2R 1). Les narrations décrivent son incapacité à être dieu en Israël (Jg 6,32 ; 1R 18,39 ; 2R 1,17 et 2R 10,28).

Un même canevas narratif.
Les récits de polémique contre Baal sont bâtis sur un même canevas en quatre éléments : 

• Yhwh est en position de faiblesse ou de retrait au sein d’une situation difficile pour Israël : domination de Sichem (Jg 6), sécheresse (1R 18), concurrence (2R 1 et 10). 

• Il y a une confrontation religieuse entre partisans de Yhwh et ceux de Baal : Gédéon et les hommes de la ville (Jg 6), Élie et les prophètes de Baal (1R 18), Élie et Akhazias (2R 1), Jéhu et les prophètes de Baal (2R 10). 

• L’organisation d’une « ordalie » dans laquelle les dieux eux-mêmes se révèlent ou sont appelés à se manifester. 

• Un dénouement dans lequel Baal apparaît comme un dieu imposteur, ce qui conduit à menacer et éliminer ses partisans.


© Dany Nocquet, SBEV / Éd. du Cerf, Cahier Évangile n° 154 (décembre 2010), "Le Dieu unique et les autres - Esquisse de l'évolution religieuse de l'ancien Israël", p. 48-50.