Les récits de la Passion tiennent une large place dans les évangiles...

Dans quelle mesure peut-on dire que les évangiles synoptiques sont une « parole de la croix » (1 Co 1,18) ? Sans doute les récits de la Passion sont-ils la mise en récit d’une théologie de la croix – chez Marc en tout premier lieu – mais ne faut-il pas élargir cette perspective théologique à la narration évangélique dans son ensemble ? La question mérite au moins d’être posée si l’on part d’une constatation toute simple : les récits de la Passion tiennent une large place dans les évangiles et en quelque sorte démesurée par rapport au reste de la vie de Jésus.

Ainsi recouvrent-ils deux très longs chapitres en Marc (14,1 – 15,47). Quant à la dernière semaine de Jésus à Jérusalem, elle en occupe cinq (Mc 11,1 – 15,47), soit le tiers de l’évangile. Par comparaison, le récit des femmes au tombeau qui clôt la finale authentique de Marc tient en huit versets (Mc 16,1-8). On a pu dire ainsi que le deuxième évangile était en réalité un récit de la Passion précédé d’une longue introduction. Ce qui peut apparaître comme une boutade a en réalité une conséquence théologique importante, qu’il faut mesurer à sa juste valeur : la Passion de Jésus et sa mort sur la croix sont le prolongement de sa vie terrestre tout entière. Cette affirmation est en quelque sorte narrativement marquée dans le récit de la Passion. Après la mention de la proximité de la Pâque fortement mise ne relation avec la mort de Jésus (Mc 14,1-2), le récit s’ouvre par l’épisode de l’onction de Béthanie (Mc 14,3-9), qui est une étonnante introduction à la Passion. Entre autres fonctions, le geste de cette femme fait inclusion avec la présence de ces autres femmes qui regardent à distance la crucifixion et dont le narrateur précise qu’elles servaient Jésus et étaient montées de Galilée avec lui (Mc 15,40-41.47). Il n’y a donc pas de rupture entre la Galilée des commencements et la ville de Jérusalem. C’est le même « chemin » que Jésus a suivi depuis la première annonce de l’Évangile (Mc 1,14-15) jusqu’à la mort sur le Golgotha. Ainsi la croix n’est-elle pas à isoler de l’ensemble d’une vie caractérisée par l’annonce de la Bonne nouvelle aux pauvres et toute entière donnée aussi bien à Dieu qu’aux hommes.

En Matthieu et en Luc, une des fonctions des récits d’enfance est de « rétro-jeter » (projeter en arrière)l’ombre de la croix sur les années du commencement. Le massacre des enfants de Bethléem préfigure celui du roi des Juifs (Mt 2,16-18) et Syméon annonce à Marie le destin tragique de Jésus (Lc 2,33-25). Dans les évangiles, la mort sur la croix prend appui sur la vie terrestre de Jésus de Nazareth pour l’accomplir. Les femmes sont les témoins silencieuses et continues de la destinée humaine de Jésus jusqu’en son achèvement (Mc 16,1-8).


© Jean-François Baudoz, Cahier Évangile n° 166, Le mystère de la croix, p. 25-26.