Les méfaits du dragon ne tardent pas à se manifester, par l’intermédiaire de deux bêtes monstrueuses...
Les méfaits du dragon ne tardent pas à se manifester, par l’intermédiaire de deux bêtes monstrueuses, l’une surgie de la mer (13,1), l’autre de la terre (13,11). La première bête est caractérisée tant par sa puissance royale quasi infinie (13,2) que par sa capacité de résilience (13,3-4). En effet, gravement blessée, elle ne s’en trouve pas moins guérie, contre toute attente, et recouvre d’emblée sa force dévastatrice, exercée principalement contre les chrétiens (13,5-7).
Une telle bête semble faire l’unanimité parmi les Nations, à l’exception des disciples du Christ, dont l’endurance se fonde sur la promesse divine et la certitude d’être inscrits dans le « Livre de vie de l’Agneau immolé ». Ainsi décrite, la première bête paraît incarner un pouvoir politique à forte résonance religieuse (triple mention du blasphème, vv. 5-6). Il est évidemment facile d’y voir une allusion à l’Empire romain, notamment sous les règnes de Néron ou de Domitien, également marqués par la mise en œuvre d’un modèle oriental ayant pour effet de sacraliser la fonction royale.
La seconde bête est encore plus redoutable, notamment à cause de son apparence lénifiante. Dragon déguisé en agneau (d’ailleurs muni de cornes, ce qui en dit long sur l’âge du jeune animal nommé « agneau » en 13,11), elle est au service de la première bête, dont elle paraît gérer ce que nous appellerions aujourd’hui la communication, voire la propagande (13,12). Usant largement du registre religieux, elle organise le culte impérial et n’hésite pas à faire usage de stratagèmes ou de mises en scène susceptibles d’impressionner le peuple (13,13-15).
Son emprise s’exerce sur toute la société, contrôlant la plupart des activités économiques, sans doute par le biais des corporations et autres associations professionnelles (13, 16-17). En tout cas, tel le bras idéologique du pouvoir politique, elle ne tolère aucune incartade de ceux qui « n’adoreraient pas l’image de la bête » (13,15). L’allusion historique est patente : l’auteur en personne souligne la portée symbolique des détails ici accumulés. Sous l’apparence d’une énigme (le fameux nombre 666), il s’agit bien d’une réalité historique (« un chiffre d’homme » !), dans laquelle de nombreux commentateurs ont, depuis l’Antiquité, reconnu la politique religieuse de l’Empire romain aux derniers jours de Néron, donc aussi du temps de Domitien, selon la confusion entretenue entre ces deux souverains (13,16).
Au-delà de la légende d’un Néron quasiment « réincarné » en Domitien, c’est bien à la démesure d’un régime devenu totalitaire que s’attaque l’Apocalypse, notamment au regard d’une politique religieuse pratiquant la violence et l’arbitraire. Une telle leçon n’a bien sûr rien perdu de son actualité. L’Apocalypse énonce en effet un message de lucidité et de courage, susceptible d’alerter et de soutenir ceux qui, de par le monde, sont aujourd’hui encore affrontés à la violence des empires et autres régimes totalitaires.