Ce cahier est consacré à la dernière vague du vaste mouvement des prophètes qui ont proclamé à Israël la parole du Seigneur, son Dieu...

Ce cahier est consacré à la dernière vague du vaste mouvement des prophètes qui, tout au long du premier millénaire avant notre ère, ont proclamé à Israël la parole du Seigneur, son Dieu. L'appellation de "derniers prophètes" est donc prise ici dans un sens chronologique, en rapport avec l'histoire du prophétisme israélite, et non dans le sens où la tradition juive s'en sert habituellement.

On le sait, dans la liste des livres du canon scripturaire juif, le titre de "Derniers prophètes" est celui de la seconde section des Neviim c'est-à-dire les livres d'Isaïe, de Jérémie, d'Ézéchiel et des Douze (= petits prophètes). L'adjectif "derniers" sert, là, à distinguer ces livres de ceux qui sont appelés "Premiers Prophètes", et qui forment la première section de cette même collection, soit les livres de Josué, des Juges, de Samuel et des Rois.

On s'intéresse moins, en général, aux quelques recueils qui sont venus s'ajouter plus tardivement à la collection des livres prophétiques. La raison en est d'abord que, dans la Bible, ils occupent moins de place que les grands recueils des prophètes dits "classiques". Mais c'est aussi parce que les prophètes dont ils rapportent les oracles sont moins aisés à identifier.

Certains ont encore un profil personnel, tels les prophètes Aggée et Zacharie, du moins pour la première partie de son livre, et c'est par eux que nous allons commencer. Mais déjà Malachie semble être le surnom donné à une collection d'oracles anonymes groupés sous ce nom afin d'obtenir une série complète de douze "Petits prophètes". Quant au prophète Joël, l'époque de son intervention est incertaine et pourrait être aussi bien avant l'exil qu'à une date beaucoup plus tardive.

Les oracles de prophètes encore plus récents n'ont plus fait l'objet de livres séparés. Ils ont été simplement greffés sur les livres des prophètes plus anciens, dans le but de donner à certains de leurs oracles une actualité nouvelle. Il en est ainsi des chapitres 9 à 14 du livre de Zacharie, à qui l'on donne le nom de "Deutéro-Zacharie" ou Second Zacharie. Le livre d'Isaïe, le plus long de tous les livres d'un prophète, a connu une rédaction qui s'est étendue sur plusieurs siècles et qui a prolongé et actualisé le message du prophète du VIIIe siècle : les chapitres 40 à 55 recueillent la prédication d'un prophète anonyme du temps de l'exil à Babylone, que l'on appelle le "Second Isaïe".

Les chapitres 56 à 66 contiennent, eux, des prédications et des oracles qui semblent encore plus récents car la communauté à laquelle ils s'adressent est déjà réinstallée à Jérusalem depuis quelque temps et s'impatiente de ne pas voir s'accomplir les promesses du Second Isaïe. Ce "Trito-Isaïe", comme on appelle volontiers cette dernière section du livre, recueille probablement le message de plusieurs prophètes différents, mais qui s'inscrivent tous dans la tradition du prophète Isaïe, dont ils réinterprètent le message pour des temps nouveaux.

Une lecture attentive repérerait encore dans les livres prophétiques bien d'autres passages, d'allure secondaire. Leur présence révèle à quel point ces livres sont restés longtemps ouverts à des apports nouveaux, car la tradition tenait à ne laisser se perdre aucune parole venue du Seigneur. Nous ne retiendrons ici que l'un de ces passages parce qu'il témoigne d'une prophétie tardive qui a pris de plus en plus la forme des grands scénarios apocalyptiques : les chapitres 24 à 27 du livre d'Isaïe, à qui l'on donne justement le nom d’ "Apocalypse d'Isaïe".

La tradition rabbinique pense, de manière un peu trop schématique, que le mouvement prophétique a cessé à l'époque d'Esdras et de Néhémie.

Depuis lors, c'est la "Grande synagogue" qui aurait pris le relais de l'enseignement de la Torah : "Moise a reçu la Torah au Sinaï; il l'a transmise à Josué, Josué aux Anciens, les Anciens aux Prophètes et les Prophètes l'ont transmise aux hommes de la Grande Synagogue" (Pirqé Abot 1,1).

On peut cependant admettre que l'inspiration prophétique ne s'est pas épuisée au IVe siècle. Elle a continué à vivifier le peuple de Dieu, comme l'attestent les parties les plus récentes des recueils prophétiques, mais de manière plus diffuse. Il faudra attendre la crise politique et religieuse du 2e siècle pour voir se ranimer cette flamme sous la modalité nouvelle de la littérature apocalyptique. Celle-ci s'enracine certainement dans le mouvement prophétique dont elle assure le relais. Mais par son caractère énigmatique et sophistiqué, elle hérite aussi de la littérature de sagesse. Elle sort du cadre dans lequel s'inscrit le présent cahier.

Que ces oracles plus récents viennent de la bouche d'un prophète connu ou qu'ils soient anonymes, la tradition biblique les reçoit avec le même respect que les oracles des grands prophètes. Elle les met sur le même pied que leurs prédécesseurs. Ils méritent d'être écoutés avec la même attention.

 

©  Samuel Amsler, SBEV / Éd du Cerf, Cahier Évangile n° 90 (Décembre 1994), « Les derniers prophètes : Aggée, Zacharie, Malachie et quelques autres », p. 5-6.