Du 27 au 30 août 2007, à Strasbourg, s’est tenu le 22e congrès de l’ACFEB (Association catholique Française pour l’étude de la Bible)

Du 27 au 30 août 2007, à Strasbourg, s’est tenu le 22e congrès de l’ACFEB (Association catholique Française pour l’étude de la Bible).

Cent vingt biblistes, enseignants, étudiants ou animateurs bibliques s'y sont retrouvés pour étudier "Les hymnes du Nouveau Testament et leurs fonctions". Qu’est-ce qu’un(e) hymne ? La question a accompagné interventions et débats. En effet, s’il est habituel de dénommer " hymne " ou " cantique " certaines pièces proposées par les liturgies chrétiennes et tirées de l’évangile de Luc, des lettres de Paul ou de l’Apocalypse, la définition reste vague. Le Congrès, sans en élaborer une qui fasse désormais autorité, a permis une redécouverte de morceaux bien connus qui, situés dans leur contexte historique et littéraire, éclairaient ceux-ci autant qu’ils étaient éclairés par eux.

En ouverture, illustrant la complexité des questions en jeu, Camille Focant (Louvain) a parcouru une nouvelle fois le beau texte de 1 Co 12,31–14,1. Choisi régulièrement lors des célébrations de mariage, il est souvent appelé " hymne à l’amour ". Hymne ? Non pas, mais éloge de l’amour dans une prose rythmée, avec parallélismes et métaphores. Paul adopte là un style qui tranche sur le contexte. Rupture d’écriture qui s’accorde avec la radicalité en cause, l’amour-agapè si fortement christologique. Coup de force qui permet de relire l’ensemble de la lettre et appréhender tant les problèmes qui taraudaient autrefois les Corinthiens que, pouvons-nous ajouter en dépassant C. Focant, ceux qui traversent l’engagement du mariage aujourd’hui – puisque ce texte est choisi par les fiancés.

Un rite identitaire

Il revenait alors à Thomas Osborne (Luxembourg) de se livrer à l’exercice périlleux de " l’état de la question " – une première dans le domaine francophone ! La conclusion ne manquait pas d’impertinence, montrant que si, aujourd’hui, les définitions sont floues il en était de même dans l’antiquité. Au Ve s. av. J.-C., Platon regrettait que " tout se confonde avec tout " alors qu’autrefois les distinctions étaient claires entre " hymnes ", " thrènes ", " péans " et " dithyrambes " ! Longtemps après, les écrivains de Qoumrân ou du N.T. vont hériter de la confusion. Pourquoi celle-ci ? Une réponse s’est dessinée dans l’exposé de Yves Lehmann (Strasbourg), spécialiste de la Grèce antique : le rite social, identitaire, a pu recouvrir la poétique même des prières aux dieux (hymnes) et des célébrations de personnes ou de choses (éloges). Cette fonction identitaire a d’ailleurs été repérée par Claude Coulot (Strasbourg) dans la conclusion hymnique de la Règle de la communauté de Qoumrân. Ajoutée au corps du texte, elle aurait été proclamée, selon certaines hypothèses, lors de l’admission de nouveaux membres de la communauté au cours d’une célébration de l’alliance.

Densité et approfondissement

C’est un tout autre angle d’approche, plus littéraire, qu’a adopté Daniel Gerber. Il a montré comment le petit cantique de Siméon (Lc 2,29-32) " densifie ", en exergue du récit lucanien, le motif lumineux du salut privilégié par la suite. Ce motif résonne tant dans le contexte proche (Lc 1–2) que dans le contexte large (Luc-Actes) et Luc situe ainsi la venue de Jésus sur l’horizon de l’attente d’Israël et des nations. L’analyse rendait justice à la fonction narrative et théologique d’un cantique que la liturgie chrétienne isole. La remarque vaut aussi pour l’hymne aux Philippiens (Ph 2,6-11). Élian Cuvillier l’a relu dans le cadre de l’épître entière, faisant apparaître – comme C. Focant précédemment à propos de 1 Co 13 – la radicalité et la profondeur que l’hymne donnait au propos de Paul, y compris dans son aveu autobiographique (Ph 3). On a pu débattre du statut " mythique " attribué au texte par É. Cuvillier, mais on a reconnu que Ph 2, mieux que bien des exhortations, fait entrer les chrétiens dans l’événement pascal. Fonction d’approfondissement encore que celle de l’hymne qui ouvre l’épître aux Éphésiens examinée par Chantal Reynier. Là, l’originalité de l’épître, marquée par un net caractère de louange, tient dans les " extensions hymnologiques " qui parcourent le texte – saturation liturgique sans doute mais surtout stratégie de communication : la partie argumentative de l’épître expliquerait et développerait un contenu hymnique qui rebondit, retenant sans cesse l’attention du lecteur par sa richesse et sa beauté.

Les harmoniques liturgiques

Jacques Schlosser s’est attaché à 1 Pierre dont il a mis en lumière le style liturgique. Particulièrement en 1 P 1,3-5.17-21 et 2,4-10, la " langue hymnique " participe de la célébration de la miséricorde divine qui culmine dans le choix de la pierre rejetée et dans le sang du Christ, fondement de la sainteté chrétienne et du rassemblement ecclésial. Si 1 P contient ainsi des éléments hymniques à forte teneur théologique qui travaillent l’argumentation, le livre de l’Apocalypse propose des passages bien délimités (huit en tout) qui semblent interrompre le fil narratif. Michèle Morgen a souligné qu’ils ressaisissent les motifs importants du salut, du Règne, du sang, du peuple de Dieu, du rachat, des prémices, etc. Mais elle n’en est pas restée à cet usage rhétorique. Reprises ou non à des liturgies chrétiennes déjà existantes, les hymnes préparent les lecteurs à la grande célébration finale qui clôt le livre, anticipant le rendez-vous eschatologique vers lequel sont tendues les visions de Jean.

Christologie et liturgie

En conclusion, Jean-Noël Aletti a ressaisi quelques convictions. À l’époque du N.T., la définition du genre " hymne " est problématique, on l’a vu dès l’introduction de T. Osborne. S’il y a des distinctions à faire, elles doivent s’appuyer sur la rhétorique gréco-latine ou l’hymnologie vétéro-testamentaire. Pour sa part, J.-N. Aletti retient le chant, l’éloge (encomium), le prologue (proemium) et l’expansion hymnique, quatre formes générales qui, d’une manière ou d’une autre, ont toutes une fonction christologique. Les chants, tels ceux de Lc 1–2, résument et concentrent le salut de Dieu raconté ou à raconter. Les éloges, tels 1 Co 13 ou Ph 2, ont un rôle d’exemple et font passer les auditeurs/lecteurs par un détour fondateur. Le prologue, tel Jn 1, précède la narration et parfois, tel Ep 1, avertit d’un mystère de Dieu qui ne va pas de soi, se rapprochant de l’" eulogie ". Les expansions hymniques d’Ep, Col ou 1 P dynamisent l’argumentation. Se greffant sur ce dernier point, quelqu’un a fait remarquer que s’il existe dans la littérature grecque des pièces autonomes, hymnes ou odes, le N.T. n’en présente aucune, préférant les inscrire dans le fil du récit ou de l’argumentation. C’est la liturgie chrétienne, hors du canon des Écritures, qui découpe certains passages de style hymnique ou choral. La dimension liturgique se déplace ainsi des milieux producteurs d’autrefois (et il y aurait des études à reprendre sur le culte dans l’Antiquité) à la pratique des croyants d’aujourd’hui.

Le langage poétique

Le thème du Congrès de Strasbourg a fédéré moins de monde que d’habitude. " Sujet trop particulier " ou " trop restreint ", a-t-on entendu dire. À tort. Les organisateurs, menés par Daniel Gerber pour la partie académique et Pierre Keith pour la logistique, ont réussi à entretenir l’intérêt par le croisement des méthodes exégétiques. La recherche historique et critique a été largement honorée grâce aux interventions de Y. Lehmann, C. Coulot, C. Reynier, J. Schlosser, M. Morgen et aux séminaires de E. Bons & J. Joosten (la prière d’Azarias en Dn LXX), G. Claudel (les citations psalmiques en Mt), A. Dettwiler (l’hymne aux Colossiens), J. Duhaime (les prières de la guerre de Qoumrân), R. Kuntzmann (le chant de Débora, Jg 5), T. Legrand (le targoum d’Ha 3). Elle a rencontré avec bonheur d’autres approches, narratives ou rhétoriques, dans les conférences de C. Focant, D. Gerber, E. Cuvillier, J.-N. Aletti, ou les séminaires de F. Laurent (le poème de Dt 32), J.-M. Sevrin (le prologue de Jn), T. Osborne et N. Siffer (les hymnes lucaniens). Le séminaire de D. Fricker s’interrogeait, lui, sur l’actualisation du prologue de Jn et de l’hymne aux Philippiens. L’actualisation était plus ouvertement pastorale avec la conférence grand public de J. Duhaime sur " La prière d’action de grâce comme récit identitaire ". Les fonctions des hymnes, en effet, s’élaborent non seulement dans les communautés productrices, mais aussi dans le corps des gens qui, aujourd’hui, les reçoivent. Avec cette question (objet de futurs débats ?) : si les hymnes ne sont pas réductibles à des stratégies de communication, si elles sont aussi " poésie ", quels sont les effets de ce langage qui n’est pas d’abord injonction, récit ou fiction mais tension entre l’inexprimable et l’inouï ?




© Gérard Billon, SBEV / Éd. du Cerf, Cahier Évangile n° 143 (mars 2008), "L'Alliance au cœur de la Torah",  p. 67-69..