Un synode ne peut pas se réduire aux textes, même les plus élaborés...

Comment parler de l’expérience que représente la participation au Synode des évêques sur « La Parole de Dieu dans la vie et la mission de l’Église » ? La plupart des textes ont été publiés, au moins partiellement en ce qui concerne les interventions orales. Il serait profitable de les lire. Mais un synode ne peut pas se réduire aux textes, même les plus élaborés.

Il est d’abord une expérience forte pour tous les participants. Beaucoup participaient pour la première fois à un synode des évêques, c’était le cas des cinq évêques français . Un synode est d’abord une célébration : la Parole de Dieu n’y sera pas traitée en objet, mais comme une personne vivante qui exprime le dialogue et la communion qui se vivent au sein de la Trinité et qui y introduit ceux qui accueillent cette Parole. Ainsi, à l’office de Tierce qui marque le début de la journée, les évêques, à tour de rôle, proposaient une méditation sur l’un des psaumes qui venaient d’être chantés ou sur la péricope biblique qui avait été lue. Le premier à intervenir fut d’ailleurs Benoît XVI à partir du psaume 119(118). Nous avons ainsi cherché les manières dont nous pourrions aider l’ensemble des membres de l’Église à mieux connaître, aimer et placer au centre de l’existence personnelle et communautaire les Saintes Écritures. Bien souvent l’expression de saint Jérôme : « L’ignorance des Saintes Écritures, c’est l’ignorance du Christ » a été citée pour encourager tous les efforts déjà entrepris.

Un synode n’a pas pour but de préciser des éléments nouveaux concernant la foi de l’Église. C’est un organisme pastoral. Composé d’évêques de tous les continents (250 environ étaient présents), assistés de nombreux experts, surtout biblistes (par exemple, les PP. Luc Devillers, Fréderic Manns et Nicolas Antiba, Mme Marguerite Léna, pour se limiter aux français), ainsi que d’auditrices et d’auditeurs qui ont également pris la parole, il n’entame pas des débats théoriques, mais s’appuie sur les expériences de chacun afin d’arriver à des propositions d’ordre pratique. Celles-ci sont remises au pape qui pourra les reprendre dans l’exhortation post-synodale. Les expériences sont multiples, toutes ne sont pas transposables telles quelles dans un autre contexte, mais elles manifestent la fécondité de la Parole de Dieu ainsi que sa puissance de renouvellement et de soutien de la foi.

La Parole de Dieu dans le monde

Tout en courant le risque d’être sommaire et presque réducteur, je me risque à des observations personnelles.

Pour que la Bible soit accessible à tous, il est nécessaire qu’elle soit traduite dans les multiples langues qui existent. Bien sûr, ce travail est réalisé depuis longtemps pour les principales langues mondiales, même s’il est toujours à reprendre. Mais il existe encore de très nombreuses langues, spécialement en Afrique, dans lesquelles les traductions ne sont que partielles voire inexistantes. De grands efforts sont à réaliser, et le soutien des Églises plus riches en moyens et en capacité de formation est indispensable. Il faut noter que le secrétaire général des Sociétés bibliques était invité au Synode. De plus, Mgr Vincenzo Paglia, président de la Fédération biblique catholique, a fait état de l’accord signé avec l’Alliance biblique universelle pour une plus grande coopération en matière de traduction et également de diffusion de la Bible, car le prix du livre est aussi un obstacle en bien des régions.

Il est nécessaire également que la Bible puisse être comprise de manière juste. Plusieurs menaces guettent le lecteur livré à lui-même : une lecture purement subjectiviste des textes qui peut lui faire dire des choses étranges, une lecture de type moralisatrice ou encore une interprétation fondamentaliste. Certaines de ces interprétations sont portées par des groupes religieux comme des groupes sectaires de type fondamentaliste, opposés violemment à l’Église catholique. Ces groupes sont nombreux en Amérique latine. Pour répondre aux nombreux défis que soulèvent ces interprétations, un effort considérable de formation est sans cesse à reprendre. Il convient en particulier d’éveiller les jeunes et les femmes à une interprétation catholique de l’Écriture, c’est-à-dire enracinée dans une tradition de lecture ecclésiale. Il faudra aussi aider à une bonne compréhension des textes en facilitant une meilleure découverte du sens littéral et enfin donner les indications suffisantes pour qu’ils puissent nourrir la vie spirituelle.

Un certain nombre de situations difficiles ont été évoquées, en particulier celles de communautés qui ont été, ou sont encore, menacées et persécutées à cause de la foi. Il ne leur est pas facile de se réunir pour célébrer l’Eucharistie et souvent les prêtres sont rares. C’est alors que la Parole de Dieu est un soutien très fort. Plusieurs expériences ont été rapportées et ont été applaudies : transmission par les parents de textes parfois appris par cœur, conseils simples pour prier à partir de la Parole de Dieu…

Enfin, dans certaines régions du globe, et tout particulièrement en Europe occidentale, le défi est tout autre : s’il y a des appuis réels pour la formation, si la Bible est traduite et largement accessible, il manque le désir de la lire et de la connaître. Trop de croyants s’imaginent que c’est un livre ancien qui ne peut plus nous dire grand-chose, ou encore que sa lecture est trop difficile pour ceux qui ne sont pas experts. Il faut donc chercher à donner envie de la lire comme une Parole de Dieu vivante et actuelle et encourager la constitution de groupes d’échanges et de prière autour des textes bibliques.

Un tel panorama donne une idée des multiples défis qui se présentent aujourd’hui. Mais beaucoup d’interventions ont souligné les fruits réels et nombreux que produit une lecture régulière et priante des Écritures.

Quelques débats théologiques

De multiples références ont été faites à Dei Verbum. Les participants au Synode connaissent bien cette Constitution dogmatique de Vatican II dont les acquis théologiques sont admis par tous. On déplore cependant que ce texte important du Concile soit trop peu connu par les fidèles qui en restent souvent à des notions très vagues sur la révélation, l’inspiration, les principes d’interprétation de l’Écriture. À bien des reprises, la nécessité de faire connaître et étudier Dei Verbum a été répétée. Il ne suffit pas de présenter des textes, ou même des livres bibliques en entier, il faut aider à une lecture en Église auquel ce document prépare.

Dei Verbum insiste beaucoup sur le fait que la Révélation n’est pas d’abord la communication d’un message, mais la rencontre de Dieu qui se fait connaître aux hommes de multiples manières et en particulier par son Fils (He 1,1-3). Le Synode a largement souligné cet aspect en développant en particulier le thème du dialogue entre Dieu et les hommes qui aboutit à une véritable communion et entraîne la manière de vivre qui y correspond. Dieu parle par les Saintes Écritures, bien entendu. Mais beaucoup d’interventions ont insisté sur le fait que cette révélation est préparée par des interventions de Dieu dans le cosmos et dans le cœur des croyants par la loi naturelle… Les propositions finales y font écho.

Le Synode promeut une lecture croyante de l’Écriture. Celle-ci se réalise toujours dans l’Église. La liturgie est le lieu du dialogue vital de l’Église avec Dieu. On pourrait dire que c’est en elle et par elle que se réalise la transmission vivante du mystère de la nouvelle Alliance. C’est ainsi que se manifeste la Tradition constituée par la prédication apostolique qui précède les Écritures, les élabore et les accompagne, le tout étant conduit sous l’action de l’Esprit Saint. Il faudra donc chercher à lire les Écritures dans l’Esprit selon lequel elles ont été écrites (DV n° 12). Beaucoup d’interventions ont porté sur la lectio divina, le travail de transmission de la foi réalisé de multiples manières et sur le « sens spirituel » des Écritures. Il est en effet celui par lequel la lecture des textes sacrés peut vraiment nourrir la foi.

La question qui fut débattue avec le plus de vivacité fut celle du rapport entre lecture critique de l’Écriture et lecture spirituelle. Plusieurs interventions ont regretté que trop de travaux scientifiques ne nourrissent guère la foi, reposent sur des hypothèses régulièrement contestées par d’autres et en définitive en restent dans le registre de la critique, qu’elle soit historique ou littéraire. D’autres ont rétorqué que le travail des biblistes était essentiel pour qu’on ne soit pas livré au risque du fondamentalisme ou du subjectivisme. Le pape Benoît XVI a souhaité intervenir dans ce débat. Il a repris les thèmes qu’il avait développés dans l’introduction à son livre Jésus de Nazareth. En reprenant Dei Verbum n° 12, il déclare qu’il est nécessaire d’employer la méthode historique et critique, c’est l’une des conséquences de l’incarnation du Fils de Dieu : « Il faut étudier l’histoire du salut avec les méthodes d’une recherche scientifique sérieuse. »

Mais cela ne suffit pas : il y a une dimension divine qu’il ne convient pas de laisser de côté. Pour comprendre l’Écriture dans l’Esprit dans lequel elle a été écrite, il convient d’interpréter les textes en tenant compte de l’unité de l’ensemble de l’Écriture (exégèse canonique), de tenir compte de la tradition vivante de toute l’Église et enfin d’observer l’analogie de la foi.

Les exégètes sont invités à chercher à dépasser toute opposition entre exégèse et théologie : la Bible n’est pas seulement un livre du passé mais elle nous parle aujourd’hui encore. Il faut également adopter une « herméneutique de la foi » qui intègre le fait que Dieu agit dans l’histoire humaine. Ainsi, l’Écriture pourra être l’âme de la théologie dans la mesure où l’exégèse sera non seulement historique mais théologique. Plusieurs des propositions finales votées par le Synode retiennent cet argumentaire. Il est également souhaité que les Conférences épiscopales veillent au dialogue régulier avec les exégètes. Ce sera une manière de montrer l’importance du travail qu’ils réalisent et de les encourager dans la dimension pastorale et ecclésiale de leurs travaux.

Quelques conséquences de type pastoral


Quelles sont les implications pastorales que le Synode a voulu souligner ? En lisant les 55 propositions remises au Saint Père, on les découvre sans peine. Elles touchent à beaucoup de réalités de la vie de l’Église, car la Parole de Dieu est centrale. Plutôt que de chercher à établir une liste exhaustive, je me limite aux domaines qui me paraissent essentiels.

La formation d’abord. Elle est plus que jamais nécessaire. Le Synode a voulu insister tout particulièrement sur la formation des prêtres et des catéchistes car il leur revient d’annoncer le mystère du Christ. Il leur faut une connaissance intime de la Parole de Dieu et des diverses méthodes d’interprétation, ainsi que des capacités pour aider à entrer dans une lecture spirituelle des Saintes Écritures.

La lectio divina a été souvent évoquée au cours du Synode. Elle peut être pratiquée selon des formes diverses. Un évêque a même été invité à présenter une méthode toute simple utilisée dans son diocèse. À la suite de plusieurs déclarations de Benoît XVI (en particulier dans un message aux jeunes en 2006), il est fortement souhaité que ce type d’écoute de la Parole de Dieu soit largement promu. Il est aussi recommandé de constituer des petits groupes de lecture de la Parole de Dieu avec des moyens très simples (comme les Seven Steps mis en œuvre en divers pays d’Afrique).

L’homélie est le moyen par lequel la Parole de Dieu est présentée le plus souvent aux fidèles. Beaucoup de recommandations sont faites aux prédicateurs pour qu’ils se mettent vraiment à l’écoute et au service de la Parole de Dieu.

Bien entendu, la place éminente de la Parole de Dieu dans la liturgie n’a pas été oubliée. Bien au contraire ! Il est souhaité que le livre des Saintes Écritures soit mis à l’honneur dans les églises, abordé avec respect et vénération, afin qu’il soit manifeste qu’en le lisant on écoute le Christ qui nous parle.

Les célébrations de la Parole de Dieu sont à développer : elles aideront les fidèles à trouver dans l’Écriture une nourriture pour la foi et pour le témoignage qu’ils sont appelés à rendre.

Le Synode a relevé à bien des reprises le fait que les missions d’éducation de la foi et de catéchèse, ainsi que l’attention aux personnes qui souffrent et aux familles, sont exercées principalement par les femmes. Déjà, au matin de Pâques, elles ont apporté la Bonne Nouvelle aux apôtres. Tout cela doit être clairement signifié dans l’Église, par exemple par la constitution d’un ministère particulier de serviteur de la Parole ou d’une autre manière qui soit significative.

La présence des « délégués fraternels » a mis en avant la place de la Parole de Dieu dans les rencontres œcuméniques. Écouter ensemble les Écriture fait vivre une communion réelle même si elle n’est pas pleine. Bien sûr, des questions restent en suspens comme la place du Magistère de l’Église dans l’interprétation de l’Écriture. Il faut déjà se réjouir de tout ce qui est maintenant possible, en particulier dans le domaine de la traduction et de la diffusion de la Bible. La présence du patriarche de Constantinople, Bartolomeos Ier, a été particulièrement mise en valeur par le fait qu’il a prononcé une homélie remarquable au cours de la célébration des vêpres à la chapelle Sixtine.

La référence au judaïsme n’a pas été oubliée. Le cardinal Albert Vanhoye a présenté de manière magistrale le document de la Commission biblique pontificale Le peuple juif et ses saintes Écritures dans la Bible chrétienne (2001), texte qui mérite d’être travaillé de près. La conférence du grand rabbin de Haïfa, Shaar Yashouv Cohen, a donné un éclairage actuel aux relations avec le judaïsme.

Je conclurai cette liste par la référence notable faite à la place de la Parole de Dieu dans la mission : les plus pauvres sont ceux à qui la Parole est destinée en premier, déclare la Bible à bien des reprises. Ils sont aussi, ont noté beaucoup d’interventions, ceux qui accueillent avec joie cette Parole, car elle est pour eux une vraie source d’espérance.

À la suite de nombreux évêques africains, et asiatiques surtout, le Synode a insisté sur les liens à établir ou à renouveler avec les nombreuses cultures qui marquent notre monde. Il faudra aussi chercher à mettre en œuvre les nouveaux moyens de communication pour faire connaître la Parole de Dieu à tous.

Que faire maintenant ?

En attendant la parution de l’exhortation post-synodale, un document de grande valeur a été élaboré par le Synode et en particulier par la Commission chargée de rédiger le message final, laquelle était présidée par Mgr Gianfranco Ravasi, nouveau président du Conseil pontifical pour la culture. Ce message, même s’il est un peu long, mérite d’être lu avec soin. Quatre images en rythment les quatre parties et aident à percevoir ce qu’est la Parole de Dieu et comment elle agit :

• Elle est une voix qui crée le monde et l’humanité, les sauve et les guide. Cette voix est à l’origine de l’histoire du salut.

• Elle est un visage en Jésus-Christ : « Le Verbe s’est fait chair. » Il existe une harmonie entre le mystère de l’incarnation de Dieu et celui de la révélation. Divin et humain y sont étroitement associés, sans confusion ni séparation. La Bible revêt un aspect humain qui nécessite une analyse historique et littéraire. En même temps, elle nous transmet la Parole éternelle de Dieu.

• La maison de la Parole, c’est l’Église. La présentation de la communauté primitive de Jérusalem en donne les quatre colonnes fondatrices : l’enseignement des Apôtres, c’est-à-dire la prédication de la Parole sous ses différences formes ; la fraction du pain, centre de la vie chrétienne ; les prières nourries tout particulièrement de la Parole accueillie et méditée dans le cœur à l’image de la Vierge Marie ; la communion fraternelle, signe de la mise en pratique de la Parole de Dieu.

• Enfin, les routes du monde sont l’image parlante de la mission. La Parole de Dieu est destinée à tous. Cette dernière partie du message présente les destinataires de la Parole, proches et lointains, et invite à être présents dans les lieux décisifs de notre monde : communication, culture, art, dialogue avec les autres religions.

Il ne faudra pas oublier de souligner les liens étroits qui existent entre l’Eucharistie et la Parole de Dieu : l’enchaînement des synodes de 2005, sur l’Eucharistie, et celui de 2008, sur la Parole de Dieu, n’est pas fortuit. Bien des textes bibliques le soulignent, qui ont été souvent cités lors de ce Synode : l’épisode des disciples d’Emmaüs, le discours sur le Pain de Vie et la réponse que donne l’évangile de Jean à la question inaugurale des disciples : « Où demeures-tu ? » (Jn 1,38) : Jésus demeure dans les croyants qui mangent son corps et boivent son sang (Jn 6,65) et il demeure avec le Père chez ceux qui gardent sa parole (Jn 14,23).

Une expérience comme celle dont les participants au Synode ont bénéficié est unique. Mais ses fruits sont pour tous. Chacun des lecteurs de la Bible a découvert à son rythme, en dépassant les inévitables difficultés de la lecture et de l’interprétation, qu’il ne s’agit pas d’un livre comme un autre. En elle, c’est vraiment Dieu qui parle ! Il revient à tous ceux qui bénéficient de cette grâce de trouver les moyens adaptés pour que d’autres puissent la recevoir et se nourrir à leur tour du pain de la Parole vivante de Dieu.

Je voudrais achever en reprenant les quelques lignes finales de l’exposé initial du Cardinal Marc Ouellet : « Saint Césaire d’Arles fréquemment, en fin de journée, aimait demander à ses prêtres à propos de la méditation de la Parole de Dieu : “Qu’avez-vous mangé aujourd’hui ?” Puissions-nous avoir la même disponibilité, le même goût pour la Parole de Dieu et nous poser à notre tour la même question : “Qu’avons-nous mangé aujourd’hui ?” ».


 © Mgr Pierre-Marie Carré, SBEV / Éd. du Cerf, Cahier Évangile n° 147 (mars 2009), "Saint Paul : une théologie de l'Église ? ", pages 83-87.