Jacques est certainement un fin lettré...

La causticité de l'auteur

Jacques fait volontiers passer ses avertissements à travers une tonalité humoristique. Il ajoute d’ailleurs à ses talents poétiques l’art de la narration consistant à camper de petites saynètes parfaitement édifiantes. Il met ainsi en scène en quelques mots, avec quelques traits, ce riche qui entre dans l’assemblée de l’Église, « avec bague d’or et habit rutilant », tandis que les pauvres sont invités à s’asseoir sous le « marchepied » du maître de maison (2,2). Le portrait constitue une analyse sociologique saisissante et la dénonciation est véhémente à travers le raccourci d’expression.

Cet auteur semble effectivement ne pas manquer de causticité : en effet, il évoque non sans impertinence l’inefficacité de ces prédicateurs qui construisent leur discours dans un bel équilibre ternaire d’expressions rimées et chantantes : « allez en paix, soyez réchauffés, rassasiés… » (2,16), sans que cette ritournelle ne suscite chez les fidèles l’énergie nécessaire à un vrai partage des biens de la vie.

Jacques se révèle subversif à tous les niveaux de son expression. Car il ne recule pas même devant la remise en cause des principes formels, pourtant fondamentaux, de la foi juive. Pour sa part, en effet, il ne lui suffit pas que quelqu’un reconnaisse l’unicité de Dieu : « Toi tu crois qu’il y a un seul Dieu. Tu fais bien. Les démons eux aussi le croient et ils tremblent » (2, 19).

Une déclaration conventionnelle ne prouve rien, de son point de vue. La critique est fondée, d’après les exigences de sa théologie qui ne reconnaît le souffle de la foi qu’à travers la manifestation d’une énergie en actes. Cependant sa désinvolture à l’égard du premier article de la confession de foi juive, « Dieu est un », ne manque pas d’audace.

La représentation n’est pas moins subversive lorsque Jacques propose comme exemples privilégiés de la foi à suivre concrètement, le personnage d’Abraham, prêt à un infanticide, ou la figure de Rahab, la prostituée, qui trahit sa ville (2, 21-25).

Tous ces procédés ironiques et apparemment contestataires ont pour but de déstabiliser la bonne conscience de ceux qui s’abritent derrière des mots, mais qui évitent d’en examiner et d’en assimiler le sens de sorte qu’ils aient prise dans le réel. Pour autant, Jacques ne renonce pas à sa responsabilité « d’enseignant » (3,1) qui lui impose d’être normatif.

La véhémence du ton
Sur ce plan aussi, l’auteur de l’épître révèle un certain art oratoire et une grande vigueur d’expression. En effet, il intéresse souvent ses lecteurs à sa démonstration en les interpellant, avec affection (« mes frères »), ou sur un ton impératif (« Voyez », 3,4.5, etc.), et selon les meilleurs conseils de la rhétorique grecque qu’il pratique très bien, il ne néglige pas d’introduire dans son discours les effets de dialogues fictifs, réfutant ainsi toutes les objections que pourraient imaginer ses interlocuteurs (cf. 2,18-19 ; 4,3.15 ; etc.). Il cherche donc à convaincre et à faire accepter son message, sans plus de débat possible.

Son enseignement est frappant par la véhémence qu’il y met. Ainsi, lorsqu’il fustige les riches, le ton devient violent : « Quant à vous, riches, pleurez, lamentez-vous sur vos malheurs imminents. Votre richesse est pourrie et vos manteaux sont rongés par les vers. Votre or et votre argent sont rouillés et ce vert-de-gris témoignera contre vous et dévorera vos chairs comme un feu… » (5, 1-3).

Que d’exclamations, quelles prophéties apocalyptiques dans la lignée de certains auteurs de l’A.T., quelles images impossibles, des oxymores, « l’or qui rouille », pour illustrer et renforcer ces avertissements !

Jacques module son message, avec la douceur de la fraternité ou la virulence de la parénèse selon les cas, avec une grande subtilité en matière d’art littéraire et de psychologie, au service rigoureux d’une annonce évangélique envers laquelle il appelle une réponse énergique.



© Jacqueline Assaël et Élian Cuvillier, Cahier Évangile n° 167, Au miroir de la Parole. Lecture de l'épître de Jacques, p. 23-24.