Nabuchodonosor fait un curieux songe, le fameux songe de la statue composite, que Daniel va interpréter...
Le songe
"Songe" (2,1.5-7.9) et "visions mentales" (2,28b) viennent de Dieu, "révélateur des mystères", et le "mystère" en question, dit Daniel, lui a été révélé (2,28-30), alors qu'aucun devin n'aurait pu en connaître quoi que ce soit (2,27). Le roi a vu une statue composite : tête d'or, poitrine et bras d'argent, ventre et cuisses de bronze, jambes de fer, pieds d'argile cuite avec une armature de fer. Tous les matériaux employés dans la statue antique sont réunis, mais ils vont en ordre décroissant: ainsi la statue perd toute solidité. Cet ordre décroissant figure évidemment la dégradation progressive de la réalité représentée. De même en Grèce chez Hésiode : l'âge d'or était suivi par l'âge d argent puis l'âge de bronze et l'âge de fer. Or cette réalité représentée n'est autre que l'histoire du monde, examinée sur l'horizon du moyen Orient à partir de la Babylonie. La finale est attendue : une pierre se détache sans qu'on sache d'où elle vient et sans qu'aucune main l’ait lancée; elle frappe la statue qui s'écroule et tombe en poussière emportée par le vent, tandis que la petite pierre devient une grande montagne. Qu'est-ce que cela veut dire ?
Le sens du songe
C'est l'histoire des empires qui vont se succéder en Orient. Au début, la Babylonie et son souverain, qui sont idéalisés; puis un royaume d'argent, qui figure les Mèdes; puis un royaume de bronze qui domine la terre entière et représente la Perse (2,37-40). Enfin vient un royaume de fer qui va tout broyer: c'est la Grèce d'Alexandre. Mais les pieds, qui figurent la situation présente, sont en terre cuite montée sur une armature de fer. Or un tel mélange n'est pas solide, même si on tente de coller les deux matériaux "avec de la semence humaine" (2,41-43). Telle est la situation de l'Orient divisé entre les Séleucides de Syrie et les Lagides d'Égypte, malgré les tentatives d'union entre les dynasties par une politique de mariages.
C'est pourquoi l'avenir se présente sous une forme double: d'abord une catastrophe anéantira les empires humains qui se partagent le monde, puis un nouveau "Royaume" sera établi ici-bas par le Dieu du ciel. Écrasant et anéantissant tous les précédents, ce Royaume-là subsistera à jamais. Il s'agit évidemment de la venue du Royaume de Dieu, sans aucune insistance sur le peuple qui en sera dépositaire. Il n'y a pas de solution de continuité avec le présent: cet avenir possède, comme toujours chez les prophètes une imminence psychologique Si, au point de départ de l'histoire la puissance babylonienne est personnifiée par le roi Nabuchodonosor ("ô roi, tu es la tête d'or": [2,37]), à la fin, le Royaume "qui ne passera pas" est évoqué sans mention du roi-Messie.
Pour finir, Nabuchodonosor reconnaît la grandeur du Dieu unique (2,46 47) et il promeut Daniel en le mettant a la tête de la province et de ses "sages". Une addition au récit primitif introduit sur la scène les trois associés de Daniel pour accrocher au livre le récit suivant (2,49). Cet ensemble est facile à lire. La théorie des quatre empires se retrouvera dans le chapitre 7.
© Pierre Grelot, SBEV / Éd du Cerf, Cahier Évangile n° 79 (Mars 1992), « Le livre de Daniel », p. 27-28.