Pour l'essentiel, le rituel des sacrifices suit les indications de la Bible...

Lorsque le Temple était debout, il représentait le centre de la vie d'Israël; on s'y rendait pour les grandes fêtes de pèlerinage, et même la liturgie quotidienne s'y déroulait avec faste et solennité. Avec la ruine du Temple en 70, tout le système sacrificiel du judaïsme s'écroule. Le choc est énorme, à la mesure de l'importance absolument centrale qu'avait le sanctuaire de Jérusalem. Dans la réorganisation de la vie juive entreprise à Yavneh (ou Jamnia) sous la houlette de Rabban Yohanan ben Zakkaï, on va s'efforcer de garder vivant le souvenir des sacrifices, en attendant qu'un jour le Temple soit reconstruit. Cette mémoire constitue plus d'un quart de la Mishnah, monument de la tradition orale dont la rédaction s'étend sur un siècle et demi, de 70 à 219 au plus tard.

Après la chute du Temple, le rapport aux sacrifices va prendre une tournure nouvelle, qu'il convient de souligner pour elle-même. Nous présentons en conséquence notre sujet en deux volets : avant et après Yavneh.

Avant Yavneh (ou Jamnia)

Pour l'essentiel, le rituel des sacrifices suit les indications de la Bible. On pourra se référer au Cahier Évangile 111, « Les sacrifices de l'Ancien Testament » pour avoir une description des différents types de sacrifices, tels qu'ils sont rapportés dans la Bible (particulièrement en Lv 1-7).

Types et fonctions des sacrifices

Parmi les différents types de sacrifices, deux méritent une attention particulière : l’holocauste et le sacrifice de communion. L'holocauste ('olah) exprime le don total de l'individu ou de la communauté qui l'offre à Dieu ainsi que la reconnaissance de sa souveraineté absolue. Le point important est l'obéissance par amour à la volonté divine qui a prescrit ces sacrifices. Dans le cadre de l'Alliance il est demandé d'offrir les deux sacrifices quotidiens « en parfum d'apaisement pour le Seigneur » (Nb 28,8). Dieu lui-même, dans le Midrash, interprète ce verset c’est « pour apaiser (satisfaire) ùp,  esprit, car j’ai parlé et ma volonté a été faite (Sifré sur Nb 28,8, p. 191). Le même passage poursuit en montrant que l'essentiel des sacrifices consiste dans l'obéissance à la volonté divine, et non pas en la valeur de l'animal offert.

Les sacrifices de communion (shelamim) sont offerts aussi dans le cadre de l'Alliance et signifient une véritable communion avec Dieu et entre les convives. Ils sont l'occasion d'exprimer la joie qui doit accompagner la démarche sacrificielle, ainsi que le rapporte le Talmud : « Alors que le Temple existait, il n'y avait pas de joie si ce n'est dans la manducation de la chair (des sacrifices de communion), comme il est dit : "Tu immoleras des sacrifices de communion, tu les mangeras là et tu te réjouiras en présence du Seigneur ton Dieu" (Dt 27,7) (Talmud de Babylone = b, traité Pesahim 109 a).

Deux grandes fonctions des sacrifices doivent être soulignées : la purification et l'expiation. L'impureté ou la pureté rituelles ne sont pas à confondre avec le péché ou son contraire. Les pratiques de purification sont des signes concrets, ordonnés à une réalité spirituelle. Le traité Parah de la Mishnah décrit avec détail comment doit être sacrifice la « vache rousse » (cf. Nb 19,1-10) dont les cendres entraient dans la composition de « l’eau lustrale », destinée à la purification après le contact avec un cadavre (voir Nb 19,11-22). Ce rite, dont la tradition ellemême reconnaît qu'il ne peut recevoir d'explication rationnelle, suscitait l'ironie des païens (Nb Rabbah sur Nb 19,2; par. 19, § 5). Rabban Yohanan ben Zakkaï en dévoile à ses disciples, contemporains de cette pratique, le sens vécu de l'intérieur : « ce n'est pas le cadavre qui rend impur ni le mélange de cendre et d'eau qui a en lui-même de quoi rendre pur, mais c'est le décret du Saint-Béni soit-il. Il a dit : "J'ai décrété un décret, j'ai imposé une décision : vous n'avez pas de le droit de transgresser ma décision : "Voici le décret de la Torah que le Seigneur a prescrite" (Nb 19,2)" » (Pesiqta de Rav Kahana, pisqa 4, § 7, p. 74). La pratique des sacrifices est donc, fondamentalement, une obéissance à ce que Dieu demande; elle signifie de façon visible la communion avec le Dieu d'Israël, l'appartenance à la communauté de l'alliance. Elle ne peut se passer d'une démarche intérieure qui corresponde à ce qui est signifié.

Comme dans la Bible (voir Cahier Évangile 111, p. 20) l'expiation, dont l'action est exprimée par le verbe kipper (d'où le nom de la fête de Kippour), n'est pas destinée à apaiser la colère divine, mais elle exprime le pardon donné par Dieu. Les rites en sont nombreux, mais ils culminent lors de la fête de Kippour; le sens en est donné par Lv 16,30 : « c'est en ce jour-là qu'on fait sur vous le rite d'expiation pour vous purifier; devant le Seigneur vous serez purs de tous vos péchés ». C'est ainsi que « tout est référé au Seigneur miséricordieux qui donnait par le grand prêtre son pardon et sa bénédiction. C'est cette référence qui donne sa valeur à chaque geste et parole du rituel et qui, en même temps, les relativise » (P.Lenhardt).

© Jean Massonnet, SBEV / Éd du Cerf, Cahier Évangile n° 118 (Décembre 2001), « Le sacrifice du Christ et des chrétiens », p. 5-6.