L’itinéraire de Pierre dans l’évangile de Marc culmine au moment où il renie Jésus...

L’itinéraire de Pierre dans l’évangile de Marc culmine au moment où il renie Jésus. Avec sa sortie du récit sur des pleurs amers (14,72), est-il intégralement déconstruit ?


Une intensité dramtique

Il est bon de reprendre d’abord cet épisode (14,66-72). Le suspense est à son comble depuis les paroles de Pierre : « Même s’il faut que je meure avec toi, non, je ne te renierai pas » (14,31). Dans cette unique scène de l’évangile où un disciple se retrouve protagoniste, la faillite de Pierre est orchestrée de façon magistrale.

L’interrogatoire s’avère de plus en plus serré. D’une part, les contradicteurs, augmentent en nombre (la servante en 14,67 ; la servante devant les assistants en 14,69 ; les assistants en 14,70). D’autre part, les questions gagnent en intensité (le lien avec Jésus en 14,67 ; le lien avec tout le groupe en 14,69 ; la preuve qu’il est galiléen en 14,70). Face à ce questionnement qui le déborde, Pierre s’enfonce dans un reniement toujours plus catégorique (la feinte d’ignorance en 14,68 ; un reniement de loin en 14,70 ; de fortes imprécations en 14,71). Il a nié son lien à Jésus (« Toi aussi tu étais avec le Nazaréen, avec Jésus ! » – 14,67), lien pour lequel il avait été précisément institué (Jésus « en établit douze pour être avec lui » – 3,14). Il a également désavoué son lien avec les Douze (« "Celui-là, il est des leurs !" Mais de nouveau, il niait » – 14,69). Sa faillite est totale lorsqu’il affirme ne pas connaître l’homme dont on parle (14,71), lui qui avait été envoyé pour parler de l’homme qu’il connaît (3,14). Dans son écroulement, il n’a pas entendu le coq chanter une première fois. Il n’a jamais été aussi loin de Jésus.


Le pouvoi du souvenir

Pourtant, bien que Jésus soit absent, Pierre est-il totalement esseulé ? À la fin de cette débâcle, un élément permet d’entrouvrir une porte. Lorsque le coq chante une deuxième fois, Pierre peut se souvenir des paroles que Jésus a dites. En répétant exactement les mots de Jésus « avant que le coq chant deux fois, tu m’auras renié trois fois », le narrateur permet au lecteur de saisir ce qui se passe dans l’esprit de Pierre. En donnant le signe du coq, Jésus avait donné par avance à Pierre les moyens à de se souvenir qu’il l’avait dit. Jusque-là, il ne s’était pas souvenu.

On peut alors commencer à comprendre que ce sont les paroles de Jésus lors de la prédiction du reniement (14,26-31) qui donnent le statut ultime à cet épisode, et donc à l’avenir de Pierre. Pourtant, Pierre ne semble pas encore détenir la clé de lecture de sa chute. Il sort pour pleurer. Il est enfermé dans son échec, comme si les paroles de Jésus l’enfonçaient un peu plus. Il sort du récit sur cet écroulement. Est-ce sans recours ?

© Jean-Philippe Fabre, Cahier Évangile n° 165, Pierre, le premier des Apôtres, p. 6-7.