le lecteur est amené à établir des ponts entre les deux sections de l’œuvre de Luc...

Sans reprendre le dossier des relations entre les Actes et l’Écriture, j’aimerais noter que dans ce domaine, également, le lecteur est amené à établir des ponts entre les deux sections de l’œuvre de Luc. Je m’en tiendrai à deux exemples.

Le ressuscité explique.

Lc 24 contient de précieuses indications sur la relation entre Jésus et l’Écriture. D’après le récit, c’est lui-même, le ressuscité, qui est à l’initiative d’une relecture des textes en fonction de son propre itinéraire. Dans l’épisode de la rencontre avec les disciples d’Emmaüs, le narrateur signale au v. 27 : « Et, commençant par Moïse et par tous les prophètes, il leur expliqua dans toutes les Écritures ce qui le concernait. » Or, le v. 35 précise que ces disciples racontent aux Onze et à leurs compagnons réunis à Jérusalem ce qui s’était passé sur la route.

Immédiatement après, est relatée une apparition de Jésus à ce même groupe. Dans cette scène, l’Écriture tient encore une grande place. Le texte précise : « Alors il leur ouvrit l’intelligence pour comprendre les Écritures, et il leur dit : “c’est comme il a été écrit : le Christ souffrira et ressuscitera des morts le troisième jour, et on prêchera en son nom la conversion et le pardon des péchés à toutes les nations à commencer par Jérusalem” » (Lc 24, 45-47). Je me contenterai de trois observations sur ces versets. Premièrement, aux yeux du lecteur, le groupe apparaît comme bénéficiant d’une intelligence des Écritures due à la rencontre du ressuscité. Deuxièmement, le renvoi aux Écritures est effectué de manière globale. Aucune citation précise n’est reproduite. Troisièmement, en Lc 24, 46-47 les éléments mis en relation avec les Écritures vont au-delà de la mention de la résurrection du Christ. Il est question aussi de la prédication en son nom à toutes les nations. Ainsi, lorsque le livre des Actes décrit les apôtres faisant appel à l’Écriture dans leur prédication, le lecteur peut y déceler un effet direct ou indirect de ces paroles du Ressuscité. De même, l’activité apostolique au service de la conversion et du pardon des péchés dans une perspective universaliste pourra être interprétée comme un accomplissement de ce qu’annonçait l’Écriture. 

Pierre explique.
Deuxième exemple, Pierre, en Ac 4, 11, reprend, sans donner la source de son emprunt (citation implicite), des paroles du Ps 118 qu’il interprète en fonction de la personne de Jésus : « C’est lui, la pierre que, vous, les bâtisseurs, aviez mise au rebut : devenue tête d’angle ». Pour le lecteur de Lc-Ac, ces paroles évoquent la citation introduite par Jésus en prolongement de la parabole des vignerons homicides, en Lc 20, 17. Sans aborder toutes les questions soulevées par l’exégèse de ces versets, on peut retenir deux aspects dans le cadre des relations entre l’évangile et les Actes. D’une part, Pierre, le disciple, fait écho à l’usage de son maître. Il recourt à la même référence, en la faisant sienne (absence d’une introduction du genre « il est écrit en effet : »). On peut même ajouter que le cadre polémique d’Ac 4 n’est pas sans lien avec celui de Lc 20. D’autre part, Pierre ne se contente pas de reprendre le verset du psaume. Il lui attribue une portée explicitement christologique, en identifiant formellement la pierre et les bâtisseurs, dans le cadre d’une évocation de la Passion, de la mort et de la résurrection de Jésus, présentés comme des événements déjà advenus.


© Michel Berder, SBEV / Éd. du Cerf, Cahier Évangile n° 128 (juin 2004), "Relectures des Actes des Apôtres", (p. 26-27)