Une fois Archélaüs déposé, le premier gouverneur de la Judée-Samarie sera Coponius (6-9). La province n’existant pas encore, Quirinius, légat de la Syrie voisine, supervise, en l’an 6, le recensement nécessaire pour le paiement des impôts aux Romains. De manière erronée, Lc 2,3 reliera la naissance de Jésus à ce recensement.
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« Il advint en ces jours-là que sortit un édit, de César Auguste, pour recenser le monde entier. Ce premier recensement advint, Quirinius gouvernant la Syrie. Et ils allaient tous se faire recenser, chacun dans sa propre ville » (Lc 2,1-3).
Lc 2,1-3 relie le recensement à la naissance de Jésus, qui suit celle du Baptiste « aux jours du roi Hérode » (Lc 2, 5). Il anticipe donc le recensement de Quirinius qu’on situe en 6/7 apr. J.-C. (AJ XVII, 355 ; XVIII, 1-2.26 ; XX, 102 ; Gu VII, 253). Selon Luc, le décret d’Auguste concerne « toute l’oikouménè », tout l’Empire. Ce n’est pas l’horizon du recensement de Quirinius. En outre, comment comprendre ce « premier recensement » : un premier recensement général pour l’Empire ? le premier recensement romain en Judée ? Luc paraît envisager la deuxième solution, mais de cette manière : le recensement impérial général fut le premier a être effectué en Judée..
Difficultés historiquesContre Luc, certains faits s’imposent. D’abord, l’histoire ignore tout recensement impérial général sous Auguste. Les défenseurs de l’évangéliste forcent l’interprétation des documents ou s’appuient sur des auteurs dépendant eux-mêmes de Luc. En deuxième lieu, pour un recensement, Joseph n’avait pas à se rendre à Bethléem, ni Marie à l’accompagner. L’enregistrement des biens et des personnes se faisait sur place ou au centre le plus proche et n’impliquait que le chef de famille, non son épouse. En outre, un recensement romain des terres juives n’est pas pensable au temps d’Hérode le Grand, Rome n’intervenant pas dans l’administration interne des royaumes vassaux. Or Lc 1,3 situe la naissance du Baptiste et de Jésus, rappelons-le, « aux jours du roi Hérode ». D’ailleurs, Josèphe présente le recensement de l’an 6 comme une nouveauté sans précédent expliquant le trouble chez des Juifs qui pouvaient se rappeler la condamnation divine du dénombrement de David (2 S 24). Enfin, contre certaines manipulations chronologiques non convaincantes, il n’est pas vraisemblable de supposer deux mandats de Quirinius, dont le premier en l’an 3/2 av. J.-C. correspondrait à un premier recensement aux alentours de la naissance de Jésus.
Une présentation typiquement lucanienne En réalité, Luc travaille sur des données historiques, mais de manière approximative. Ce qui lui arrivera quand il évoque d’autres événements. En imputant à Auguste un recensement de « toute l’oikouménè », il généralise en « un seul » événement les recensements périodiques de l’administration impériale. Cette façon de généraliser les faits se reconnaît en Ac 11,28 : au temps de l’empereur Claude (41-54) diverses famines ont sévi à travers l’Empire. Luc en fait une famine s’étendant à « l’oikouménè ». De même, dans son évocation des agitateurs, il anticipe le soulèvement de Theudas (Ac 5,36) et celui de « l’Égyptien » (Ac 21,38). En somme, Luc sait que le recensement de Quirinius, en 6/7 apr. J.-C., correspond aux années de l’enfance de Jésus. Il justifie ainsi le voyage de Marie et de Joseph à Bethléem. Mais, plaçant la naissance de Jésus six mois après celle du Baptiste « aux jours d’Hérode », il anticipe à tort ce recensement de dix ou douze ans.
En fin de compte, si Luc joue sur le souvenir du recensement, c’est en raison des débats de son temps entre Juifs et chrétiens quant au lieu de naissance du Messie, à savoir Bethléem, selon la prophétie de Mi 5,2 (cf. Mt 2,5-6 ; Jn 7,40-42).
© Claude Tassin, SBEV / Éd. du Cerf,
Cahier Évangile n° 144 (juin 2008), "Des fils d'Hérode à la 2e Guerre juive", p. 11...14.